Notion

Zone monétaire optimale (ZMO)

Définition

Une ZMO est définie comme le domaine d'application géographique optimal d'une monnaie ou de plusieurs monnaies dont les taux de change sont fixés irrévocablement. L'optimalité est définie via un certain nombre de critères :

  1. Une forte intégration commerciale

  2. Une mobilité géographique des facteurs de production (travail, capital) entre les régions

  3. La prédominance des chocs symétriques

  4. L'existence de mécanismes d'ajustement face aux chocs asymétriques (en particulier, un certain fédéralisme budgétaire)

Analyse

La théorie des ZMO a déjà toute une histoire :

  1. La “ phase pionnière ” (du début des années 1960 au début des années 1970)

Tout a commencé avec les contributions de Mundell (1961), McKinnon (1963), et Kenen (1969). Cette phase a permis de poser les principaux critères d'optimalité, de commencer le débat sur les frontières d'une union monétaire, et d'initier les analyses coûts/bénéfices de l'intégration monétaire. Les critères incluent dès le départ la mobilité des facteurs, la flexibilité des prix et des salaires, l'ouverture économique, des taux d inflation similaires, l'intégration fiscale et politique. La similarité des chocs et la corrélation des revenus ont été ajoutés plus tard. Si ces critères sont remplis, il est peu nécessaire d'effectuer des ajustement de taux de change nominal à l'intérieur de la zone. Il est toutefois bien difficile de mesurer, de pondérer et de réconcilier les divers critères d'optimalité ; un cadre d analyse unifié manquait.

  1. L'approfondissement (des années 1970 à 1990)

Dans l'esprit des auteurs de l'époque précédente, la question de la formation d une union monétaire dépendait des bénéfices courants et futurs compares aux coûts. Autrement dit, c'est une question plus technique que politique. L'expérience européenne va constituer un “laboratoire” pour tester les critères d'une ZMO et pour introduire des critères plus politiques comme l'homogénéité des préférences. Il s'agit de l'idée selon laquelle une union monétaire ne peut durer que si les populations et les dirigeants des Etats membres s'accordent globalement sur une même hiérarchie d'objectifs et, particulièrement, sur une interprétation commune de l'arbitrage inflation-chomage, etc).

  1. Depuis les années 90, deux paradigmes s'affrontent : l'endogénéité de la ZMO (a) versus la spécialisation (b)

a. Le caractère endogène d'une zone monétaire optimale

Pour certains, l'intégration économique, financière et monétaire accroît les échanges commerciaux et rapproche donc les cycles. Ceci les amène à affirmer que les critères de zone monétaire optimale sont endogènes : deux pays qui passent en changes fixes ou qui adoptent la même monnaie voient leurs échanges commerciaux s'accroître et leurs cycles se rapprocher, ce qui justifie ex-post l'intégration monétaire.

Le postulat est celui d'un lien entre la corrélation des cycles et l'intégration commerciale. Une monnaie commune est perçue comme “a serious and durable commitment” (McCallum (1995)). Entre autres choses, elle empêche d'anticiper des dévaluations dites compétitives, elle facilite les investissements directs étrangers et les contrats de long terme, et peut finir par encourager des processus d'intégration politique. Toutes ces choses facilitent les échanges et ainsi la synchronisation des cycles.

Des contributions majeures ont été apportées par Frankel et Rose (1998) et par Corsetti et Pesanti (2002). Ces auteurs montrent que le critère de corrélation de la production, au centre de la problématique de la ZMO, souffre d'un problème d'endogénéité : la corrélation va dépendre du régime de change. Une union monétaire créerait ex post les conditions de son optimalité : en entrant dans l'Union monétaire, la volatilité du change est réduite à 0 et l'indice ZMO monte automatiquement toutes choses égales par ailleurs. De plus, l'Union monétaire stimule les échanges et, par ce biais, contribue à la synchronisation des cycles. Le test de ZMO peut donc être passé ex post même s'il n'est pas complètement passé ex ante. Il s'agit d'une vue plutôt rassurante pour l'UEM actuelle ainsi que pour les nouveaux pays candidats à l'entrée dans la zone euro dans la mesure où les frontières de l'union monétaire doivent être (si l'on suit cette thèse) dessinées de façon large en prévision d'une intégration qui se renforcera après l'entrée dans l'Union.

Commerce, convergence et ZMO

NB : OCA signifie ZMO en anglais.

Lecture : Frankel et Rose présentent l'exemple suivant. Il y a un groupe de pays qui est initialement à la gauche de la ligne ZMO. Si ces pays se regroupent et forment une union comme l'UE, l'intégration commerciale (abscisse) et la corrélation des revenus (ordonnée) vont monter ; ces pays vont se rapprocher de la ligne ZMO. Si ces mêmes pays se mettent à former une union monétaire, le degré d'intégration commerciale et de corrélation des revenus à l'intérieur de ce groupe vont encore monter et ainsi la ligne ZMO sera probablement franchie. Conclusion implicite : il faut s'unir d'abord et l'optimalité viendra par surcroît.

b. Le caractère exogène d'une zone optimale

Pour d'autres, comme Krugman, l'intégration économique, financière et monétaire permet aux pays d'exploiter davantage leurs avantages comparatifs, leurs dotations factorielles, donc de diversifier leur production par un processus de spécialisation à l'intérieur de la zone économique. Ceci rend l'utilisation d'une même monnaie plus difficile en différenciant davantage les cycles, à la différence du cas précédent. Chaque pays réagit en effet aux évolutions spécifiques du secteur dans lequel il se spécialise. Ce paradigme parfois appelé “lessons of Massachusetts” est celui qui a été développé au cours du XXe siècle aux Etats-Unis dans de nombreux secteurs avec, par exemple le regroupement des industries automobile autour de Détroit, puis des industries informatiques autour de la Silicon Valley… Moins diversifiés et donc plus vulnérables aux chocs d'offre, les membres de l'Union monétaire auront par conséquent des revenus de moins en moins corrélés. Cette thèse rencontre un certain succès depuis quelques années : certains auteurs ont affirmé que depuis le lancement de l'euro les pays de la zone ont cessé de converger. Il est toutefois assez dangereux d'utiliser le cas des Etats-Unis pour étayer cette thèse car les revenus des régions américaines sont de plus en plus corrélés depuis un demi-siècle.

Est-ce que les nations forment des unions monétaires parce qu'elles commercent beaucoup entre elles, ou commercent-elles beaucoup entre elles parce qu'elles forment des unions monétaires ? Il est encore difficile de trancher entre les paradigmes de la spécialisation et de l'endogénéité.

L' Europe et les Etats-Unis face à la théorie des ZMO 

Ni les Etats-Unis ni l'Union économique et monétaire (UEM) ne constituent des zones monétaires optimales au sens strict. Cinq ou six grandes régions américaines constituent des ZMO : sur un plan strictement économique, il pourrait donc exister plusieurs dollars différents dans l'espace national sans que cela se traduise par des pertes d'efficience, bien au contraire.

Prenons un exemple. Les chocs pétroliers de 1974 et 1979 ont été des chocs d'offre positifs pour le Texas (producteur d'or noir) et négatifs pour le Michigan (producteur d'automobiles) ; la mobilité du travail étant imparfaite, il en a résulté du chômage au Michigan et des pénuries de main d'œuvre au Texas. Une politique monétaire différenciée aurait permis de freiner la surchauffe texane et de relancer l'activité au Michigan via une variation du taux de change entre le dollar de Dallas et le dollar de Détroit.

Les frontières nationales intra-zone euro elles mêmes ne définissent pas des ZMO (cf. ex-RFA/ex-RDA, ou Italie du Nord/Italie du Sud, ou Pays Basque/Andalousie). Mais les Etats-Unis disposent de deux moyens d'ajustement efficaces pour faire face aux chocs, des moyens hors de portée des européens :

  1. Premier canal : la mobilité du facteur travail

Blanchard et Katz (1992) ont montré que les chocs asymétriques sur l'emploi sont en grande partie absorbés, aux Etats-Unis, par la migration interne de la main d'œuvre : la baisse d'un point de la demande de travail dans une région se traduit à l'horizon d'un an par une migration nette de 0,65 point, une baisse du taux d'activité de 0,05 point et une hausse du chômage de 0,30 point ; après sept ans, on observe un retour à l'équilibre tant du taux de chômage que du taux d'activité. Ce canal d'ajustement n'existe pas en zone euro, où le taux de migration inter-régionale est de 1% au sein des grands Etats de l'Union (et environ dix fois moins entre les Etats) contre 2-3% aux Etats-Unis ; cela tient aux rigidités et au cloisonnement des marchés et des systèmes sociaux en Europe, mais aussi a des facteurs culturels et linguistiques.

  1. Second canal : la fiscalité

Les études empiriques menées il y a 10-15 ans (Sala i Martin-Sachs, Bayoumi-Eichengreen, Feldstein…) ont montré que le système de changes fixes internes des Etats-Unis fonctionne grâce à un système de transfert du revenu entre régions comparable à un système d'assurance : en moyenne, pour un dollar de revenu perdu, un Etat américain voit diminuer le prélèvement fiscal de 34 cents et les transferts fédéraux qu'il reçoit augmentent de 4 cents ; au total, le revenu après impôt d'un Etat en récession ne baisse plus que de 62 cents pour tout dollar de production perdu. Ce canal d'ajustement est peu disponible en zone euro : on ne peut envisager une stabilisation automatique avec un budget de l'Union européenne limité à 1,27% du PIB communautaire et par ailleurs exclusivement dédié à des fins autres que l'action contra-cyclique (l'agriculture représente encore environ 45% du budget communautaire, et les fonds structurels, environ un tiers du budget de l'Union, ne sont pas des instruments de régulation contra-cyclique).

La zone euro et les critères d'optimalité : une vue rassurante issue de la BCE

Source : Mongelli (2002)

Lecture : Une union monétaire entre le Japon, l'UE et les Etats-Unis se traduirait sans doute par d'importants coûts en bien être compte tenu de la désynchronisation des cycles ; comme le graphique est issu d'un document de travail de la BCE, la zone euro passe le test (elle se situe à la droite de la zone ZMO) ; de nombreux économistes la font plutôt apparaître à la gauche du plan compte tenu de la faiblesse de la mobilité du travail et du fédéralisme budgétaire.

Conclusion

La littérature sur la ZMO fait partie d'un ensemble théorique plus vaste sur la taille optimale des clubs (pays, partis, etc.). Littérature stimulante, certes, mais à l'utilité assez limitée : par exemple, si les décideurs de la zone euro et ceux d'un petit pays nouvel entrant de l'UE ont décidé d'un élargissement, il ne servira à rien de dénoncer cette décision à l'aide de raisonnements issus de la théorie des ZMO car la zone euro elle-même n'aurait probablement pas dû être instaurée si l'on avait pris pleinement au sérieux ce cadre d'analyse. Plusieurs économistes anglo-saxons de grand renom se sont appuyé sur la théorie des ZMO pour pronostiquer l'impossibilité d'une union monétaire en Europe ; et pourtant, elle existe. Les avancées théoriques et empiriques des vingt dernières années ont-elles rendues la théorie plus simple et plus opératoire ? Pas vraiment. Encore aujourd'hui il n'existe pas de "test de ZMO" suffisamment clair pour permettre d'aboutir à des "scores" reconnus ; de sorte que toute cette littérature n'aboutit pratiquement à rien de concret.

 

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