"En 2005 environ, on s'apercevra que l'impact d'Internet sur l'économie est équivalent à celui de la télécopie"
Paul Krugman, décembre 1997
Définition
La "nouvelle économie" regroupe les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), auxquelles on peut ajouter les biotechnologies. Elle pourrait être considérée comme une vague d'innovation schumpétérienne mais l'abondant discours économique qui a accompagné leur développement y a ajouté deux lois et un principe.
1. La loi de Metcalf postule que la valeur d'un réseau augmente à chaque fois qu'une personne s'y connecte.
2. La loi de Moore prédit que la puissance des microprocesseurs double tous les 18 mois.
3. Le principe des rendements marginaux décroissants, aux fondements de l'économie depuis, au moins, Ricardo, serait remis en cause par lesdites technologies.
En conséquence, ces choses aussi bien établies que l'existence des cycles d'affaires, les méthodes d'évaluation des cours boursiers, voire le dilemme inflation-chômage seraient devenues caduques.
Les faits semblaient leur donner raison (cycle de croissance ascendant et dénué de tensions inflationnistes aux Etats-Unis en dépit du plein emploi du facteur travail, envol des cours boursiers) mais… jusqu'en 2000-2001. Depuis, le seul élément restant est le regain impressionnant des gains de productivité aux Etats-Unis, qui ne se dément pas depuis 1995.
Analyse
Depuis l'effondrement des valeurs technologiques au début de la première décennie du 21ème siècle, la "nouvelle économie" est souvent présentée comme un mythe doublé d'une bulle boursière. Il reste tout de même des acquis d'importance :
- Sur le plan macro-économique, le retour de gains de productivité importants aux Etats-Unis, a été à l'origine d'un cycle (1992-2000) atypique, riche en création d'emplois et fort peu inflationniste. Il se poursuit d'ailleurs, voire s'accélère depuis 2000 malgré le krach boursier.
- Sur le plan micro-économique, l'essor de firmes comme Microsoft, Dell, Intel, Sun, Oracle ou Google, entre autres a été exceptionnel et les progrès technologiques qui ont été à l'origine de leur croissance se poursuivent encore.
Il existe donc une réalité derrière les excès de la "nouvelle économie". Pourtant, le phénomène est bien davantage américain que mondial, au moins selon les apparences. L'Europe suit, certes, mais, à l'exception des pays scandinaves et de l'Irlande, elle ne paraît en mesure de prendre la tête du mouvement ou, simplement, de contrôler son impulsion. Les causes sont nombreuses et les plus souvent citées portent sur les structures de financement de l'innovation, la fiscalité, les liens universités-recherche, la concurrence sur les marchés des biens et du travail…
Des arguments somme toute fort classiques…
Comme toutes les innovations, celles-ci n'ont de consistance que si elles sont intégrées dans le processus productif et cela ne peut être réalisé que grâce à des investissements. Le cycle des nouvelles technologies n'échappe pas à la règle comme l'indique le graphique ci-dessous.
Gains de productivité et investissements dans la haute technologie (Etats-Unis,1984-2004)
Source : Exane (2003)
Notes : Données semestrielles annualisées. Les investissements en haute technologie ont été décalés de 10 trimestres, le temps qu'ils puissent produire leurs effets sur la productivité
Lecture : Les gains de productivité réalisés depuis 1995 sont étroitement corrélés aux investissements dans les hautes technologies
Par ailleurs, le fait que cette révolution technologique ait produit tant d'effets aux Etats-Unis n'est-il pas la conséquence des réformes structurelles menées durant la décennie des années Reagan : déréglementations dans de nombreux secteurs, stimulants fiscaux en faveur de la recherche fondamentale… ?
On notera d'ailleurs que cette décennie était servie par un contexte macroéconomique favorable, marqué par de faibles prix du pétrole et, d'une manière générale, par une policy-mix particulièrement adaptée, avec une politique monétaire prudente et une politique monétaire globalement expansionniste. Au contraire, les rigidités structurelles ont continué à entraver la marche de l'économie européenne tandis que le Japon sombrait dans une crise déflationniste d'une rare gravité.
Quelques arguments en faveur du "nouveau paradigme"
Dans un monde plutôt marqué par les oligopoles, Internet est un marché quasi-walrasien : concurrence parfaite, transparence, contestabilité… rarement un secteur de l'économie réelle aura été aussi proche des manuels de micro-économie.
Allié à d'autres NTIC, Internet permet de réduire les stocks (cf. graphique ci-dessous), de raccourcir les délais de livraison, d'accélérer le cycle de développement de nouveaux produits, d'abaisser les coûts de distribution et de réorienter l'activité de groupes industriels anciens vers des secteurs plus porteurs. A la clé, une économie plus productive et (à condition que la politique monétaire soit adaptée) plus stable.
Décroissance tendancielle du ratio stocks-ventes : gestion en flux tendu,"just in time economy"…
Source :Exane, 2002
Par ailleurs, Internet permet de grandes économies d'échelle avec une très faible intensité capitalistique. C'est ainsi que, dans le secteur bancaire, le coût d'une opération effectuée au guichet d'une agence est passé de un dollar pour deux cents lorsque la même opération est réalisée par Internet ! Selon Goldman Sachs (2000), les réductions potentielles de coûts associées au commerce électronique dans les industries américaines sont importantes : en pourcentage du coût total des facteurs, entre 10 et 20% pour l'informatique, 10 et 15 % pour les médias et la publicité, 15 et 20% pour le transport de marchandises, etc. Ici, la référence à la révolution des transports est immédiate. Une fois les réseaux de chemin de fer installés, les coûts de transport se sont effondrés, révolutionnant d'ailleurs la géographie des implantations industrielles. Suite à la frénésie des canaux qui occupe l'Angleterre de 1790 à 1800, le coût du transport par voie maritime de Liverpool à Manchester ou Birmingham baisse de 80% la tonne.
Conclusion
Les performances incontestables des Etats-Unis entre 1992 et 2000 et la perpétuation depuis 1995 de gains de productivité importants dans ce pays valident l'hypothèse d'un changement structurel : existence de secteurs où les rendements sont croissants, meilleure maîtrise de l'inflation, rôle central de l'innovation, importance de marchés du travail et des biens flexibles pour le processus de"destruction créatrice". Toutefois, la"nouvelle économie", qui n'était pas exempte de faiblesses et qui naviguait sur une bulle financière et comptable, n'explique qu'une part secondaire de la croissance américaine et ne remet fondamentalement en cause ni les dogmes les mieux établis de l'analyse économique ni les vieilles méthodes d'évaluation financière.