Définition
La théorie de l'équivalence ricardienne (1821) postule que l'effet des dépenses publiques sur l'économie est totalement indépendant de la façon dont sont financées les dépenses et, tout particulièrement, du choix entre l'impôt (paiement immédiat), l'emprunt (paiement futur), voire la création monétaire. R. Barro (1974) élargira l'analyse aux transferts intergénérationnels. J. Buchanan (1976) en appliquera le principe aux politiques économiques keynésiennes, pour en montrer l'inefficacité.
Analyse
Cette théorie repose sur une intuition initialement développée par David Ricardo et reformulée par Barro, selon laquelle la propension à consommer aurait une composante conjoncturelle et une composante stable. La première repose évidemment sur les revenus présents, la seconde sur la perception actuelle des revenus futurs et, plus globalement, sur le cycle de vie des revenus. Il s'agit donc clairement d'un cas d'anticipations rationnelles.
L'application moderne de ce concept conduit à considérer qu'en cas de relance budgétaire financée par déficit, les agents économiques anticiperont la probabilité d'une hausse d'impôts futurs et augmenteront leur épargne pour s'y préparer, ce qui diminue les effets du multiplicateur keynésien traditionnel. En substituant la dette publique à l'impôt, le gouvernement ne modifie donc pas la valeur actuarielle des impôts futurs et, partant, le revenu permanent des ménages.
Le mécanisme
La théorie de l'équivalence ricardienne repose sur les hypothèses de comportement suivantes :
- En cas de financement par emprunt, les agents anticipent le surcroît d'impôt qui sera prélevé ultérieurement pour rembourser. En conséquence, ils épargnent le montant actualisé correspondant. Leur richesse globale comme leur consommation restent donc inchangées.
- En cas de financement monétaire, les agents prévoient l'émission régulière de nouvelle monnaie et partant anticipent rationnellement l'érosion de leurs encaisses par l'inflation. Dès lors, ils épargnent pour reconstituer la valeur réelle de leurs encaisses. Il n'y a donc aucun effet multiplicateur sur la demande globale
Cette théorie peut-être illustrée dans le cadre du modèle IS-LM. L'augmentation du déficit public qui fait suite à une baisse des impôts entraîne normalement un déplacement de la courbe IS (de IS1à IS2) ce qui fait passer le revenu de Y1à Y2. Néanmoins, comme les agents économiques anticipent une augmentation des impôts destinée à rembourser la dette et accroissent leur épargne, la courbe IS2 revient à sa position initiale. En d'autres termes, la politique économique a une efficacité toute provisoire et accroît le cycle économique. Si l'on s'appuie sur des anticipations totalement rationnelles, la courbe IS ne change même pas de place et la politique macroéconomique est totalement inefficace.
Puisque la dette actuelle n'est qu'un impôt futur, les allégements fiscaux ne sont que des ajournements fiscaux. Sur un marché financier parfait avec des ménages rationnels, cela n'a aucune conséquence sur la consommation, à condition toutefois que la génération présente tienne compte du bien-être des générations futures.
La dette publique devient alors substituable à l'impôt et la détention de titres publics n'est pas une richesse nette. Les ménages achètent aujourd'hui les titres d'Etat qu'ils revendront au moment où ils devraient payer leurs impôts.
La conséquence de l'équivalence est claire : le multiplicateur fiscal (réaction du produit national à une réduction d'impôt) est nul. La réduction des prélèvements obligatoires ne permet pas de relancer la consommation, la politique fiscale est totalement inefficace, ce qui va à l'encontre des modèles keynésiens ainsi que des modèles de cycle de vie avec générations égoïstes. Pour Barro, il n'existe pas de réductions permanentes de l'impôt car il faudra les financer tôt ou tard : si l'horizon des ménages est infini, l'allégement fiscal est toujours temporaire.
Des hypothèses restrictives
Le modèle néo-ricardien de Barro repose sur trois hypothèses qui expliquent l'endogénéisation de la contrainte budgétaire inter-temporelle de l'Etat par les agents économiques et la formation d'anticipations rationnelles par les agents :
- Les ménages planifient rationnellement leur arbitrage consommation-épargne sur la base d'un altruisme intergénérationnel. Leur horizon temporel est infini. Si la génération présente tient compte du bien-être de sa descendance, dans une perspective dynastique, elle accroîtra son épargne lors d'une réduction d'impôt, de façon à laisser à ses descendants un héritage leur permettant de financer les prélèvements supplémentaires. Cela s'oppose au schéma de Modigliani selon lequel l'horizon temporel est borné par le cycle de vie.
- Les marches financiers sont parfaits, ce qui signifie que les décisions de consommation ne sont pas soumises à une contrainte de liquidité. Tous les ménages peuvent s'endetter.
- Les dépenses publiques sont financées par des impôts forfaitaires non distordants, c'est à dire par des impôts identiques pour tous ou proportionnels qui n'affectent pas les choix des agents. Quand on connaît le niveau de progressivité atteint dans la plupart des systèmes fiscaux des pays de l OCDE, on se dit que l'hypothèse est un peu forte.
Logiquement, la plupart des critiques de l'équivalence néo-ricardienne se focalisent sur une ou plusieurs de ces hypothèses.
- Le théorème d'équivalence prête une rationalité très forte aux ménages et il surestime sans doute largement la perception qu'ont les individus des obligations futures impliquées par le stock de dette existant aujourd'hui.
Le théorème est pareillement remis en cause lorsque l'altruisme intergénérationnel se présente sous des formes plus variées que les legs financiers. Si les ménages payent les dépenses d'éducation de leurs enfants, ils peuvent considérer être quittes vis-à-vis de leurs enfants et ne pas s'inquiéter de la charge de la dette publique qui pèse sur eux comme une épée de Damoclès !
- Ce théorème tombe lorsque les marchés financiers ne sont pas parfaits. Dans ce cas, contraintes de liquidité et incertitude affectent profondément le comportement de consommation des ménages.
Par exemple, en présence de contrainte de liquidité, c'est-à-dire lorsque l'accès au crédit est limité, la consommation des ménages et la demande des entreprises dépendent du revenu réel courant bien au-delà de leur seule contribution au revenu permanent ; l'accroissement du déficit peut être alors favorable à la consommation des ménages et à la demande des entreprises.
L'effet sur l'activité peut se trouver renforcé si les bénéficiaires des baisses d'impôts ne sont pas ceux qui seront appelés à supporter les hausses de prélèvements futurs (groupes sociaux ou générations différentes, dans un univers où l'horizon de vie est fini).
- Il tombe pareillement lorsque les impôts ne sont pas forfaitaires. Or, ils le sont rarement…
En pratique, et pour peu que l'univers néo-ricardien soit tempéré par différentes imperfections, l'effet des politiques budgétaires sur l'activité (mesures discrétionnaires ou stabilisateurs automatiques) peut se révéler substantiel ; cet effet devrait être d'autant plus fort que l'économie se trouve au creux d'un cycle.
Conclusion
- Cette théorie fait souvent figure de curiosité dans le monde des praticiens de l'économie depuis 1974.
Elle trouve sans doute à s'appliquer dans les pays fortement endettés et/ou dans ceux où les déficits publics se creusent rapidement (Japon…). Par ailleurs, on peut vraisemblablement introduire certaines non linéarités liées au poids initial de la dette publique dans le raisonnement néo-ricardien. Si le niveau de la dette publique est élevé, le risque que les prélèvements obligatoires augmentent dans un avenir proche s'accroît fortement ; une dégradation du déficit peut avoir alors des conséquences négatives sur la demande intérieure. Ce peut être un test intéressant de mesurer l'impact de la dette publique française au début du XXI° siècle avec les comportements de consommation des ménages...
Pour les pays à dette publique faible, par contre, l'accroissement du déficit peut avoir un effet expansif. Cela a pu être le cas des Etats-Unis dans les années 1980 (les déficits Reagan).
- Il ne faut pas se méprendre sur la leçon que l on peut tirer de cette théorie.
Comme le concluent Vincent et Lamotte (1993, p.36), "La contestation par Barro de l'efficacité des politiques budgétaires a pour objet de montrer que le mode de financement des dépenses publiques (par impôt ou par emprunt) constitue un problème secondaire par rapport aux pertes d'efficience engendrées par un niveau excessif de dépenses publiques financées par des impôts distordants".