Eléments de cours.
1 - La promotion du libre-échange au sortir de la Seconde Guerre mondiale
- Reconstruire l’économie mondiale et refonder le système monétaire international
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la situation des économies capitalistes industrialisées demeure très contrastée. Si les Etats-Unis ont amorcé une phase de croissance économique durant la guerre, notamment grâce à la mobilisation du complexe militaro-industriel, qui leur a permis de sortir de la Grande Dépression des années 1930, l’Europe occidentale a été frappée par de nombreuses destructions sur son territoire. Arsenal des démocraties et nation relativement peu touchée par les bombardements, les Etats-Unis représentent en 1945 la moitié du PIB mondial et disposent de 80% du stock d’or mondial, et se trouvent dans la situation de devoir fournir aux Alliés européens une aide technique, financière, sous la forme du Plan Marshall, aide massive versée à partir de 1947 qui va permettre à ces derniers de financer des importations, principalement en provenance des Etats-Unis.
Le principe de coopération économique est réaffirmé à l’échelle internationale lors de la Conférence tenue à Bretton Woods en juillet 1944, une station climatique du Nord Est des Etats-Unis, en juillet 1944, avec pour ambition de reconstruire le système monétaire international sur des bases nouvelles. C’est à l’occasion de cette Conférence que sont créés le Fonds Monétaire Internationale (FMI) et la Banque mondiale.
Lors de la conférence de Bretton Woods, le nouveau système monétaire international consacre le leadership des Etats-Unis et du dollar (et le déclin de l’Angleterre et de sa monnaie la livre sterling) : le billet vert devient la monnaie de référence d’un système de changes fixe (admettant une faible marge de fluctuation de + ou – 1%), et la clé de voûte du système est la parité du dollar par rapport à l’or. Les Etats-Unis détiennent plus des deux tiers du stock d’or mondial et la parité est fixée à 35 dollars l’once d’or.
Pour contrôler et gérer ce système monétaire international a été créé le Fonds monétaire international (FMI) qui est une institution en charge de gérer les dépôts et de faire respecter un code de bonne conduite monétaire. La seconde institution, la Banque mondiale, a pour but d’aider à la reconstruction en Europe, tandis qu’elle s’orientera par la suite vers le financement du développement des anciens pays colonisés qui accèdent à l’indépendance. Ses prêts sont conditionnés par la rentabilité des investissements.
La coopération internationale se déploie également avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), et l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC ou General Agreement on tariffs and trade, GATT) sensé promouvoir le libre-échange et la réduction des barrières douanières entre les nations, en vertu de l’idée selon laquelle les barrières protectionnistes avaient joué un rôle non négligeable dans l’aggravation de la crise durant les années 1930.
Si la baisse des barrières tarifaires a été notable, certains grands pays comme les Etats-Unis et le Japon ont toutefois maintenu un taux d’ouverture de leurs économies relativement faible sur toute la période.
Néanmoins, le commerce international se met à progresser à un rythme supérieur à la croissance du PIB mondial sur la période 1959-1980 (7,8% de croissance annuel moyenne pour les échanges internationaux de biens et services et 4,8% pour le PIB mondial). Dans le même temps, le degré d’ouverture des économies s’accroît (moyenne de la somme des importations et des exportations divisée par le PIB) dans de nombreux pays industriels : il passe ainsi pour les Etats-Unis de 4,8% en 1960 à 10,5% en 1980, de 17,8% à 20,2% en Allemagne, et de 13,3% à 22,1% en France sur la même période.
Les politiques protectionnistes des nations durant les années 1930 (« égoïsmes sacrés ») et leur responsabilité au moins partielle dans l’aggravation de la Grande dépression et la marche à la guerre ont légitimé une réduction des barrières aux échanges après 1945 sous l’impulsion de la puissance commerciale dominante, les Etats-Unis, et sous l’égide également des grands accords internationaux comme le GATT (accord général sur les tarifs et le commerce), qui ont tenté de favoriser les négociations multilatérales et les principes du libre-échange (non-discrimination, réciprocité dans les échanges, transparence, interdiction du dumping) censée promouvoir la prospérité et la paix entre les nations.
Durant les « Trente Glorieuses » (1945-1973), l’extension du libre-échange au sein des pays développés s’accompagne d’une baisse incontestable des droits de douane moyens qui passent de 40% en 1950 à un peu plus de 10% au cours des années 1970, tandis que les obstacles non tarifaires sont progressivement réduits. A partir des années 1980, de nombreux pas en développement (PED) adoptent des stratégies de développement extraverties basées sur la promotion des exportations du fait de l’échec des stratégies autocentrées fondées sur le protectionnisme (Brésil, Algérie, Inde, Chine), tandis que d’autres nations avaient opté pour des politiques industrielles appuyées sur la protection des industries naissantes malgré une certaine insertion dans l’économie mondiale (Taïwan, Corée du Sud). Mais depuis les années 1970, la tentation du protectionnisme se renforce du fait du ralentissement de la croissance économique, même si la mondialisation de l’économie se poursuit avec une intensification de la concurrence sur les marchés internationaux et la montée en puissance des pays émergents à bas salaires et à capacité technologique (entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce en 2001).
- Une modification de la géographie des échanges mondiaux
Par ailleurs, les flux d’échanges internationaux se sont modifiés : à partir des années 1960, l’Europe de l’Ouest constitue la principale zone commerciale dans le monde (la libéralisation du marché intérieur européen à partir des années 1950 dynamise les échanges). Les pays du tiers monde se retrouvent dominés et se considèrent comme victimes d’un « échange inégal » (hormis la réussite des Nouveaux Pays industriels d’Asie du Sud Est), puisque le gain à l’échange international a été inégalement réparti. Leurs économies se retrouvent très dépendantes des marchés de produits de base et de l’évolution des prix souvent fixés aux Etats-Unis, tandis que l’espace commercial mondial se structure en une « triade économique et financière » (Etats-Unis, Europe, Japon) avec l’émergence progressive du Japon qui se hisse au rang de grande puissance économique. La Triade représente ainsi plus de 60% du commerce mondial à la fin des années 1960.
La structure du commerce mondial elle-même est modifiée : les échanges de produits manufacturés enregistrent une croissance nettement plus forte que les échanges de produits miniers ou agricoles, tandis que l’internationalisation des services continue de progresser à un rythme rapide (banques, finance, tourisme, transports).
Par ailleurs, le commerce international est de plus en plus un commerce entre économies semblables tandis que se développe un commerce intra-branche de produits similaires.
Cette phase de croissance économique durable a été portée par différents facteurs, dont l’essor de la coopération internationale, le développement des échanges intra-européens et la politique de libéralisation progressive du commerce, dans un contexte d’ouverture économique et de concurrence plus intense à l’intérieur du Marché commun, avec des entreprises désormais en mesure d’accroître les investissements productifs et la productivité. A l’échelon international, le système monétaire et financier a été en mesure d'assurer une certaine stabilité des changes et une parité fixée par rapport à l’or et au dollar, ainsi qu’une croissance harmonieuse des échanges commerciaux : durant l’entre-deux-guerres, la concurrence destructrice entre les monnaies et la pratique courante des dévaluations compétitive, avaient perturbé les échanges internationaux, accru l’incertitude et aggravé la crise.
2 - Mondialisation de l’économie et transformations du capitalisme.
- Une interdépendance croissante des économies
Au XXe siècle, après s’être effondré pendant les deux guerres mondiales et la crise des années 1930, le commerce mondial de biens et services connaît un essor remarquable à partir de 1945, avec un taux de croissance nettement plus rapide que celui de la production mondiale. Très rapide depuis les années 1990, le taux de croissance du volume du commerce international est corrélé avec le rythme de variation de la production mondiale. C’est ainsi que certaines années, le volume du commerce mondial diminue, comme en 2001 et surtout en 2009, année où le volume des exportations a baissé de 12% d’après l’OMC, alors que la progression était de 14 % l’année suivante, en 2010. L’ampleur de ces fluctuations s’explique notamment par l’importance prise par le commerce intra-firme, qui multiplie les échanges internationaux avant la production d’un bien final, c’est-à-dire les échanges de produits intermédiaires.
En économie, la mondialisation peut se définir comme l’internationalisation et l’interpénétration croissantes des économies. L’internationalisation signifie que les économies sont davantage ouvertes : plus de biens et services, capitaux et personnes circulent entre les pays ; le commerce international se développe. L’interpénétration signifie que les économies sont de plus en plus liées, interdépendantes, intégrées les unes aux autres. Néanmoins, l’interdépendance accrue des économies produit une perte d’autonomie de l’intervention de l’État : les politiques économiques menées isolément au niveau national sont moins efficaces que par le passé et il apparaît de plus en plus crucial pour les États de mettre en œuvre des politiques coordonnées.
Par ailleurs, des problématiques mondiales émergent (par exemple, les questions du réchauffement climatique, des crises financières, des pandémies) et il apparaît impératif de mettre en place une gouvernance au niveau mondial. La gouvernance peut prendre des modalités diverses : institutions plurilatérales (G7, G20), multilatérales (OMC, FMI), ou spécialisées (Comité de Bâle). De multiples débats existent sur le type de gouvernance à mettre en place et de nombreux pays (en particulier les pays émergents) demandent à être mieux intégrés dans les prises de décisions, ce qui explique le passage du G7 au G20.
Les investissements directs étrangers (IDE) ont pris depuis les années 1970 une ampleur exceptionnelle. Le flux annuel d’IDE passe de 25 milliards de dollars au cours des années 1970 à 200 milliards en 1990, puis 800 milliards en 1999, et 1400 milliards en 2000 (en stock, les IDE sont passés de 1700 milliards de dollars en 1990 à 3500 en 1997, et 6600 milliards en 2001). Cette croissance très forte des volumes d’IDE s’accompagne d’un bouleversement des flux : les pays d’Europe occidentale, le Japon et à partir des années 1990, les pays émergents d’Asie deviennent à leur tour des exportateurs majeurs de capitaux. Les Etats-Unis continuent à investir à l’extérieur mais ils continuent à attirer des flux croissants de capitaux étrangers. Les firmes européennes et japonaises s’implantent souvent directement sur le sol américain afin de contourner l’obstacle de la dépréciation du dollar (qui pénalise leurs exportations) et des mesures protectionnistes des Etats-Unis.
- La domination des Etats-Unis dans la mondialisation économique
La croissance américaine a largement bénéficié de l’insertion du pays dans les échanges internationaux depuis 1945. Pourtant, l’aggravation des déficits commerciaux depuis les années 1970 est le signe d’une difficulté à satisfaire la consommation par la production nationale, et démontre que la domination des Etats-Unis est de plus en plus concurrencée (l’Union européenne et les Etats-Unis représentent aujourd’hui chacun 18% du commerce mondial si l’on excepte les échanges intra-européens). Le commerce des Etats-Unis se concentre hiérarchiquement autour des pays de l’ALENA (Canada, Mexique), de l’Asie (Chine, Japon), de l’Union européenne, des pays Arabes (comme les pays exportateurs de pétrole) et de l’Amérique Latine. Le degré d’ouverture de l’économie américaine demeure pourtant relativement faible (proche d’ailleurs de celui de l’Union européenne).
Incontestable dès les années 1970, l’attractivité des Etats-Unis se renforce dans la décennie 1980 malgré la forte appréciation du dollar durant la première moitié des années 1980. La forte reprise économique permise par le déficit budgétaire à partir de 1982, accompagné de mesures de défiscalisation et de déréglementation de l’administration Reagan, la libéralisation du marché du travail, incitent les investisseurs étrangers à s’implanter aux Etats-Unis. En raison d’une politique monétaire restrictive aux Etats-Unis, les taux d’intérêt réels élevés attirent notamment l’épargne en provenance du Japon avec de 1980 à 1985. Dans la seconde moitié des années 1980, le mouvement d’appréciation du yen, la monnaie japonaise, incite les firmes nippones à s’installer sur le territoire américain dans les secteurs de la construction automobile, de l’électronique et de l’immobilier. Les Etats-Unis continuent de drainer les IDE durant les années 1990 en raison de l’essor des technologies de l’information et de la communication (TIC), puisque le pays possède souvent les firmes les plus puissantes de ces secteurs.
Les Etats-Unis concentrent toujours un cinquième du stock mondial des investissements directs étrangers (à 72% originaire des pays européens) et un quart de ceux placés dans le reste du monde (aux trois quarts dirigés vers des pays développés comme le Canada ou le Royaume-Uni). Des firmes multinationales comme Microsoft, Ford ou General Electric réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’étranger et les deux tiers du commerce mondial des Etats-Unis sont liés aux firmes multinationales.
La multinationalisation des firmes américaines s’est effectuée depuis le XIXème siècle, et répond à des objectifs traditionnels qui ont favorisé la mondialisation de l’économie : pénétration de nouveaux marchés à fort pouvoir d’achat pour écouler la production (souvent appuyée par la force ou l’intervention diplomatique de Washington) et contournement des barrières douanières ; rationalisation de la production et baisse des coûts par le biais des délocalisations, contrôle des matières premières et des ressources stratégiques ; et enfin stratégie financière tournée vers la maximisation de la rentabilité pour l’actionnaire qui domine désormais dans le capitalisme financier depuis les années 1980-1990. L’internationalisation des firmes américaines n’empêche pas un fort ancrage sur le sol national (et un maintien de l’emploi) du fait de la taille du marché domestique. Parmi les 500 premières firmes transnationales mondiales, 40% sont américaines (Exxon Mobil, General Electric, Wal-Mart, Microsoft, ATT, Bank of America) et il y a 31 firmes américaines dans les 100 premières mondiales selon le classement Fortune 2007. La géographie de la décision économique aux Etats-Unis a évolué du Nord-Est (la Mégalopolis) et de la région des Grands Lacs, vers de nouvelles régions comme le Texas (Exxon, Dell) ou la Californie (Chevron, Hewlett-Packard) et l’Arkansas, spécialement avec la petite ville de Bentonville, siège de Wal-Mart Stores, première firme mondiale.
Par ailleurs, le dollar américain demeure la monnaie de référence de l’économie mondiale, à la fois comme monnaie de facturation des échanges (en particulier dans certains secteurs stratégiques comme le pétrole) et dans les réserves de change des banques centrales (à l’heure actuelle, le dollar concentre 43% du chiffre d’affaires du marché des changes contre 18,5% pour l’euro). Ce que certains appellent le « privilège du dollar » permet aux Etats-Unis de financer aisément le déficit de leur balance des paiements. Depuis les années 1970, les Etats-Unis ont alors laissé fluctuer leur monnaie selon une politique de « douce négligence » (begign neglect), ou ont utilisé l’arme du dollar soit pour doper les exportations (dépréciation sur le marché des changes, dollar faible) soit pour faciliter les investissements directs à l’étranger (appréciation sur le marché des changes, dollar fort) et attirer les capitaux vers la place financière américaine afin de financer les déficits. Si le dollar demeure bien ancré dans son statut de monnaie internationale, l’éventualité d’une revente des énormes liquidités engrangées par la Chine (notamment grâce à son excédent commercial avec les Etats-Unis) suscite désormais la crainte d’un effondrement du billet vert sur le marché des changes.
Le capitalisme américain s’est également appuyé depuis les années 1980 sur le processus de globalisation financière, que les États-Unis inspirent et dominent, notamment en raison de leur influence au sein des institutions internationales comme le Fonds Monétaire international et la Banque mondiale, situés à Washington (ce que certains politistes appellent le soft power, la domination culturelle, à distinguer du hard power, la domination politique et militaire). L’essor de la finance directe, des investisseurs institutionnels, des fonds de pension et des fonds spéculatifs (hedge funds) a largement bénéficié aux acteurs américains qui ont été les promoteurs de la libération des flux de capitaux et de la dérèglementation des marchés au nom des principes du libéralisme économique. Depuis le début des années 1990, la capitalisation boursière a triplé et la place financière new yorkaise demeure de loin la plus importante du monde, tandis que les services financiers représentent aujourd’hui 9% du PIB américain. Mais longtemps créanciers planétaire, les Etats-Unis sont désormais débiteurs du reste du monde à hauteur de 20% du PNB soit 2500 milliards de $. L’histoire et l’analyse économique montrent pourtant que les nations les plus avancées sont normalement pourvoyeuses d’épargne et de capital pour faciliter le rattrapage des pays en retard de développement (l’endettement des ménages américains est passé de 580 milliards de dollars en 2000 à 1250 milliards de dollars en 2005).
L’essor des services financiers aux Etats-Unis, créateurs d’emplois et de richesses, a également engendré un modèle de croissance fondé sur l’endettement et de plus en plus dépendant des marchés boursiers, ce qui a rendu l’économie américaine et le reste de la planète plus vulnérables aux risques de crises financières.
3 - Libre-échange ou protectionnisme : un débat crucial autour des bénéfices et des coûts de la mondialisation
- Libre-échange et protectionnisme : une question récurrente dans l’Histoire et toujours d’actualité
Depuis le début de la crise en 2007, les pays développés ont sans cesse réaffirmé leur volonté de poursuivre la mondialisation de l’économie et de défendre les principes du libre-échange, contre la tentation de recourir aux mesures protectionnistes lorsque la crise avive les craintes des populations et incite les gouvernements à opérer un repli sur le territoire national. Dans une économie globalisée, la contraction des échanges a été forte à partir de la fin 2008. Entre 1996 et 2006, le volume du commerce mondial avait augmenté en moyenne de 7% chaque année. Le rythme de croissance a même atteint 7,3% en 2007. Puis la crise a éclaté et la croissance du commerce mondial n’a été que de 3% en 2008 avant de connaître une baisse de12% en 2009 sous l’effet de la réduction de la demande des consommateurs et la restriction du crédit accordée aux exportateurs : l’interdépendance des économies a accéléré la mondialisation de la crise et propagé le choc aux économies émergentes dont la croissance a été temporairement freinée. Pourtant, les grandes institutions internationales (OMC, OCDE, FMI) demeurent fermement convaincues de la justesse des thèses libre-échangistes pour accroître le bien-être et sortir les populations de la pauvreté. Les leçons de la Grande dépression des années 1930 et les effets de la remontée des barrières protectionnistes qui ont contribué à l’aggravation de la crise et à l’effondrement des échanges internationaux ont souvent été citées dans les débats, même si le thème de la « dé-mondialisation » et des effets délétères du libre-échange revient désormais sur le devant de la scène en France et pourrait peser lors de la campagne présidentielle de 2012.
Le protectionnisme désigne l’ensemble des mesures visant à protéger la production d’un pays contre la concurrence étrangère. On distingue les barrières tarifaires qui sont l’ensemble des taxes (droits de douane) que doivent payer les importateurs du produit soumis à la protection, et les barrières non tarifaires qui visent à restreindre les flux d’échange (quotas qui fixent un plafond quantitatif aux importations, obstacles et interdictions administratives, normes techniques visant à limiter les importations). On parle également de protectionnisme « monétaire » lorsqu’un pays agit pour maintenir la sous-évaluation de sa monnaie afin de réduire la compétitivité des importations et stimuler celle des exportations. Le libre-échange désigne quant à lui la politique commerciale qui vise à réduire les barrières tarifaires et non-tarifaires afin de stimuler la croissance et l’emploi. Le choix entre libre-échange et protectionnisme (conçus comme deux cas polaires) constitue une question traditionnelle de l’économie politique et renvoie aux débats sur la place à laisser à la régulation marchande : il faut prendre soin de distinguer le protectionnisme de l’autarcie (que personne ne défend), comme d’ailleurs le libre-échange total de l’ouverture internationale, cette dernière étant génératrice de gain de spécialisation, d’accès à des techniques, des capitaux, et des débouchés supplémentaires grâce à l’échange.
Les auteurs du courant mercantiliste (bullionisme en Espagne, industrialisme colbertiste en France, commercialisme de John Locke en Angleterre et caméralisme porté par les socialistes de la chaire en Allemagne), qui écrivent entre le XVIème et le XIXème siècle, défendent l’idée que la prospérité de la nation et de son souverain dépend de la capacité à freiner les importations et à stimuler les exportations par des mesures de protection de l’économie nationale face à la concurrence étrangère. Si les auteurs classiques comme Adam Smith (1776) rompent avec le mercantilisme au nom du libéralisme économique, toute la palette de l’arsenal protectionniste reste largement usitée au XIXème siècle et s’appuie sur un certain nombre de fondements théoriques critiques du libre-échange comme vecteur de croissance et de bien-être. Dans son Système national d’économie politique (1841), l’allemand Friedrich List développe une critique des thèses favorables au libre-échange défendues par l’économiste classique David Ricardo, qu’il accuse de proposer un édifice scientifique (la théorie de l’avantage comparatif) dont le but politique est de renforcer la suprématie anglaise dans les échanges internationaux. Si List n’est pas fondamentalement hostile au libre-échange et apologétique du protectionnisme, il plaide pour une protection temporaire des industries dans l’enfance (ce que l’on appelle le protectionnisme éducateur). Selon lui, le libre-échange ne peut être établi qu’entre pays se trouvant au même stade de développement économique : entre pays se situant à des stades différents, il ne peut que produire une concurrence déloyale qui enferme le pays le moins développé dans son sous-développement (d’autant que toutes les spécialisations ne se valent pas). Les industries naissantes produisent les biens à des coûts supérieurs et ne peuvent générer des économies d’échelle comme celles des pays les plus avancés : une protection transitoire peut permettre au pays en retard de développement d’améliorer sa compétitivité grâce à des effets d’apprentissage et des gains de productivité. L’approche de List n’est donc pas contradictoire avec l’insertion dans les échanges internationaux : la protection doit être dégressive et le but poursuivi demeure l’instauration du libre-échange (« le protectionnisme est notre voie, le libre-échange est notre but »).
Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) John Maynard Keynes propose une réhabilitation au moins partielle de la tradition mercantiliste en relativisant les bienfaits du libre-échange. Dans une économie ouverte, la contrainte extérieure limite l’autonomie des politiques conjoncturelles et paraît condamner les traditionnelles stratégies keynésiennes de relance historiquement situées dans l’espace national. Le protectionnisme permet alors de renforcer l’efficacité du multiplicateur keynésien en réduisant la propension à importer (économie fermée) : même si les consommateurs sont confrontés à des prix plus élevés et une diversité des biens moins grande, les revenus salariaux peuvent augmenter afin de soutenir la demande intérieure, ce qui n’est guère possible lorsque les entreprises nationales font face à la concurrence des entreprises étrangères et souhaitent maintenir leur compétitivité. S’amorce alors une boucle vertueuse entre la consommation des ménages, l’investissement des entreprises qui stimule la croissance et l’emploi. L’argumentation en faveur du protectionnisme liée à l’âge de l’industrie s’appuie également sur la défense des industries vieillissantes (ou sénescentes) dans les pays développés, lorsque l’industrie a perdu tout avantage par rapport à ses concurrentes. En effet, le déclin d’une industrie a un coût social élevé en raison du chômage qu’il entraîne et des effets externes négatifs qu’il provoque dans certaines zones du territoire où l’industrie est concentrée (textile, sidérurgie, activités portuaires, construction navale). Des mesures protectionnistes peuvent alors faciliter la réallocation de la main-d’œuvre vers les secteurs plus compétitifs : l’économiste Nicholas Kaldor expliquera, en partant du cas britannique, que le protectionnisme peut s’appliquer aussi aux industries vieillissantes, non pas pour empêcher leur disparition, mais pour réduire le coût économique et social de l’ajustement et faciliter la reconversion de ces activités.
Les théories traditionnelles du commerce international fondées sur les différences de coût expliquent l’échange entre les nations par les écarts de productivité du travail et/ou par les dotations initiales en facteurs de production, dans le cadre d’une spécialisation fondée sur les avantages comparatifs : elles conduisent donc à un plaidoyer pour le libre-échange en tant que jeu à somme positive. Le libre-échange peut être facteur de croissance et d’emploi. Le libre-échange entraîne des effets négatifs spectaculaires et médiatiques (les délocalisations et la fermeture de sites de production) mais autorise aussi des bienfaits plus diffus pour les consommateurs (gains de pouvoir d’achat, accès à des gammes de biens plus diversifiées).
La concurrence mondiale est génératrice de gains de productivité et créatrice d’un surplus de richesses à partager : les Etats décident ensuite dans quelle mesure les gagnants de la mondialisation (les travailleurs qualifiés, les détenteurs de capitaux) indemnisent les perdants (les travailleurs non qualifiés) dans le cadre de politiques de redistribution. Preuve en est que différents modèles sociaux coexistent dans la mondialisation, fruits de l’Histoire singulière des nations et des cultures nationales : par exemple, les pays du Nord de l’Europe sont traditionnellement des économies très extraverties et offrent pourtant un haut niveau de protection sociale. De la même manière, la construction européenne a procédé par élargissement successif et supprimé les barrières aux échanges afin de stimuler le commerce intra-européen et permettre aux entreprises de réaliser des économies d’échelle, des efforts de productivité et de compétitivité prix et hors-prix (le modèle de l’Union reste d’ailleurs la concurrence libre et non faussée).
Les théories classiques et néoclassiques du commerce international et de la spécialisation montrent que le libre-échange bénéficie à tous les partenaires à l’échange et permet un gain mondial : dans son modèle à deux pays (l’Angleterre et le Portugal) et à deux biens (le drap et le vin), David Ricardo montre en effet que les deux pays ont intérêt à se spécialiser dans la production où leur productivité relative est la plus élevée, même si l’un des deux est plus efficace que l’autre pour toutes les fabrications (théorie des avantages comparatifs).
Ainsi, la concurrence des produits des Pays à bas salaires ne produit pas que des effets négatifs : elle permet d’importer des produits dont les prix de vente sont plus faibles, ce qui augmente le pouvoir d’achat des consommateurs dans les pays développés, et stimule la production et l’emploi. Ce gain relatif de pouvoir d’achat permet de créer une demande solvable pour des services liés aux secteurs abrités. Par ailleurs, le développement économique des pays émergents permet de créer à terme de nouveaux débouchés pour les biens et les services des pays développés : la croissance et l’emploi augmentent, d’autant qu’une certaine convergence des coûts salariaux doit se produire selon la théorie économique. L’implantation des Investissements directs étrangers (IDE) a aussi des effets bénéfiques : par exemple, la France est un des pays les mieux placés en termes d’accueil des IDE sur son territoire en raison de sa compétitivité hors-prix, de la qualification de sa main-d’œuvre, et de la qualité de ses infrastructures publiques, réseaux de transport, etc. Enfin, il faut relativiser le poids du commerce international avec les pays émergents : la France investit avant tout dans des pays développés, et elle attire une part non négligeable des investissements étrangers, preuve d’un degré élevé d’attractivité, et l’essentiel de son commerce extérieur est réalisé avec ses partenaires européens.
Néanmoins, les thèses en faveur du protectionnisme ont connu à partir des années 1970 un certain renouveau théorique dans le cadre de modèles intégrant l’imperfection des marchés au sein d’une économie internationale ayant profondément évolué : l’intensification des échanges entre les pays les plus développés de niveaux de développement assez proche, l’importance du commerce intra-branche, et le poids du commerce intra-firme dans les échanges internationaux (environ 1/3 du commerce mondial) ont nécessité l’élaboration de travaux relâchant les hypothèses des modèles classiques et néoclassiques de concurrence parfaite et de rendements constants. Les nouvelles théories du commerce international apportent une justification nouvelles à l’intervention étatique en matière commerciale : les avantages comparatifs ne sont plus donnés mais sont construits par des politiques volontaristes et les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer en matière de spécialisation internationale, en favorisant la recherche-développement et en aidant les industries de haute technologie (dans l’aéronautique par exemple) au titre de la « politique commerciale stratégique » (comme dans les travaux de Brander et Spencer) et de la politique industrielle (l’économiste Elie Cohen évoquait pour la France un « colbertisme hi-tech »). Dans le cadre de marchés oligopolistiques, les firmes ont des comportements stratégiques qui affectent les décisions de leurs rivales : dès lors, des mesures d’incitation aux exportations et des subventions peuvent se justifier afin de réduire la rente de monopole d’une entreprise étrangère sur le territoire national. Les aides financières peuvent conférer un avantage à un producteur national, même si le risque de représailles est élevé et peut conduire à un « équilibre non coopératif ».
Il s’agit d’une forme de « néoprotectionnisme », puisque c’est un moyen de dissuader des concurrents d’entrer sur le marché et de réduire la contestabilité du marché. Les mesures protectionnistes peuvent également se justifier par des arguments plus politiques, en faveur du complexe militaro-industriel par exemple au nom des intérêts supérieurs de la nation en matière de sécurité et de défense, ou en faveur du secteur agricole au nom de l’indépendance alimentaire et de l’aménagement harmonieux du territoire.
- La mondialisation alimente les craintes des pays du Nord
La mondialisation de l’économie s’accompagne de la montée des firmes multinationales, qui assurent une partie de leur production à l’étranger. Une firme multinationale (FMN) est donc une entreprise, le plus souvent de grande taille, qui, à partir d’une base nationale, implante plusieurs filiales dans un ou plusieurs pays étrangers, selon une stratégie conçue par une maison-mère. Certains auteurs voient l’apparition de firmes multinationales "globales" depuis les années 80 : une évolution pour accentuer la décomposition internationale des processus productifs (DIPP) c’est-à-dire la répartition des différentes étapes de production d’un même produit entre les différentes filiales d’une multinationale -une stratégie adjacente : on parle parfois de « glocalisation », avec une stratégie globale de l’entreprise, mais une adaptation aux spécificités locales (Sony). Un indicateur de l’essor des firmes multinationales est constitué par le poids du commerce intra- firmes, c’est-à-dire l’échange de produits entre les filiales d’une FMN implantée dans divers pays. Il représente environ 1/3 du volume du commerce international. Pour les firmes américaines, les échanges intra- firmes représentent 25% du total des exportations et 16% des importations. Les grandes tendances de la spécialisation internationale évoluent également : le commerce intra- branches progresse : on constate que des pays similaires commercent énormément entre eux (ainsi les pays de la « Triade » commercent à 70% entre eux). On observe une domination des échanges Nord- Nord : Le Sud n’a pas encore atteint le pouvoir d’achat suffisant pour acheter les produits du Nord et les pays développés échangent massivement entre eux. 75% des exportations mondiales de marchandises sont effectuées par la Triade en 2000.
On assiste également à la montée des échanges de services : Depuis 1945, les échanges de services ont crû deux fois plus vite que celui des marchandises. La part des produits de base décline : la matière grise supplante la matière première (tourisme, télécommunication, Internet, services financiers). Concurrencés sur les produits manufacturés par les pays émergents où les coûts de production sont plus faibles généralement, les pays développés cherchent à se positionner sur les services. De plus, le secteur a vécu une déréglementation.
La mise en place d’une nouvelle Division internationale du travail (DIT) a transformé l’économie mondiale : les pays du Sud ont réussi à sortir de leur spécialisation dans les produits primaires et sont progressivement montés en gamme. Ils ont réussi à se spécialiser dans les produits manufacturés à faible valeur ajoutée. Les pays développés se sont quant à eux spécialisés dans la fabrication des produits à haute valeur ajoutée (NTIC), et dans les services.
La main-d’œuvre à bas salaires des pays en développement est-elle une menace pour le volume de l’emploi et le niveau des salaires dans les pays du Nord ? Ce débat a été renouvelé avec le thème des délocalisations de certaines activités des pays développés vers les pays à bas salaires. Il y a délocalisation dans le cas d’une stratégie d’entreprise consistant à fermer une ou plusieurs unités de production dans un pays donné et à implanter une ou des unités de production équivalentes dans un ou plusieurs autres pays pour bénéficier de conditions de production jugées plus favorables (coûts de la main-d’œuvre, exonérations fiscales, etc.) Par ailleurs, dans les économies largement ouvertes (à l'instar de la France), il est impossible de prendre des mesures de protectionnisme à l'échelle nationale. La concurrence avec les pays à bas salaires et les effets des délocalisations (sous la forme d'IDE vers les pays à bas salaires) suscitent des craintes dans les pays développés en termes de hausse du chômage et de creusement des inégalités salariales. Les entreprises délocalisent pour acquérir un avantage de compétitivité, ce qui se traduit par des pertes d’emplois sur le sol national (risque de réaction similaire des concurrents de la branche) et une hausse du chômage, notamment pour les travailleurs les moins qualifiés. De plus, la hausse du chômage entraîne la baisse des revenus, la baisse de la demande intérieure et celle de la croissance économique. La mondialisation et la concurrence avec les pays à bas salaires est ainsi accusée d’aggraver les inégalités salariales dans les pays du Nord, entre les travailleurs peu qualifiés et qualifiés.
Pourtant, ces craintes doivent être nuancées : les firmes qui délocalisent augmentent leur rentabilité, ce qui leur permet de financer des activités nouvelles et d’embaucher par la suite ; les études empiriques montrent l’impact limité des délocalisations. De plus, il faut prendre en compte l’effet positif du développement des pays à bas salaires, l'effet de la hausse des exportations des pays émergents, de leur production, des revenus de leurs consommateurs, et des importations de produits en provenance des pays développé, ce qui crée des emplois et stimule la production. Les produits en provenance des pays émergents sont achetés à des prix plus faibles, ce qui augmente le pouvoir d’achat des consommateurs des pays développés, et ce surcroît de pouvoir d’achat crée une demande solvable pour d’autres secteurs de l’économie abrités de la concurrence internationale, lesquels vont créer des emplois. Enfin, si des firmes installées en France délocalisent une partie de leur production vers les pays à bas salaires, les firmes multinationales s’implantent également en France, ce qui a des effets bénéfiques pour le croissance et l’emploi. Les Investissements directs étrangers (IDE) créent directement des emplois en France et indirectement aussi en générant des emplois et des revenus dans la zone régionale d’accueil des IDE.
Selon les économistes, la concurrence des pays à bas salaires n’expliquerait au final qu’une modeste part du chômage dans les pays développés. Le progrès technique expliquerait davantage que le commerce international la réduction en besoin de main-d’œuvre peu qualifiée, puisque ceux-ci ont réalisé une « montée en gamme » dans la division internationale du travail (DIT). D’autres explications peuvent aussi être mobilisées comme les rigidités sur le marché du travail selon les économistes libéraux et la faiblesse de la demande effective pour les économistes keynésiens en raison des politiques d'austérité monétaire et budgétaire.
La mondialisation engendre donc des gagnants (les travailleurs qualifiés des pays développés) et des perdants (les travailleurs peu qualifiés des pays développés) victimes de l’ajustement soit par les quantités (chômage) soit par les prix (baisse des salaires). Ainsi le débat porterait davantage sur le modèle social souhaité dans la mondialisation, et sur le niveau de redistribution des revenus pour soutenir les travailleurs peu qualifiés.
L’ouverture des économies crée un nouvel équilibre entre les facteurs de production (travail, capital) : le capital devient un facteur très mobile tandis que le travail l’est beaucoup moins, en raison de barrières culturelles, linguistiques. C’est le travail qui risque alors de devenir la variable d’ajustement (délocalisations, chômage, hausse des impôts, etc.) alors que le capital peut se déplacer partout dans le monde où la rentabilité est la plus élevée.
- « La mondialisation n’est pas coupable » (Paul Krugman)
Dans son ouvrage intitulé La mondialisation n’est pas coupable, le Prix Nobel d’économie Paul Krugman défendait l’idée que les difficultés des pays développés n’étaient pas liés principalement au libre-échange (le taux de chômage ne semble pas fondamentalement corrélé au degré d’ouverture des économies) mais aux évolutions technologiques internes (réorganisation du travail, substitution capital/travail et prime au travail qualifié). La mondialisation de l’économie et le progrès technique se combinent désormais pour exercer une pression sur le travail non qualifié dans les pays du Nord : s’il est vrai que la concurrence mondiale plus intense peut accélérer le rythme du progrès technique (puisque leurs systèmes productifs deviennent plus économes en travail en se recentrent sur l’innovation technologique), les économistes évoquent souvent une pluralité de facteurs internes pour expliquer la persistance du chômage de masse : certains remettent en question les politiques de redistribution au nom de l’efficacité de l’économie de marché, stigmatisent les rigidités institutionnelles sur le marché du travail et préconisent des réformes structurelles. D’autres économistes mettent l’accent sur la responsabilité des politiques économiques de rigueur à partir des années 1980 qui ont entraîné une déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur de la part des profits et ralenti durablement la demande globale, freiné la croissance potentielle et aggravé la composante keynésienne du chômage en Europe
Le renforcement des barrières protectionnistes peut être de nature à freiner le développement des pays émergents qui ont besoin du commerce international. Désormais, la plus grande part des échanges internationaux ne sont pas des échanges de matières premières contre des produits élaborés entre des pays sous-développés et des pays avancés (ce qui correspondait à l’ancienne division internationale du travail), mais des flux de biens industriels (commerce intra-branche) entre des pays situés à des niveaux de développement assez proches. Les exportations et les importations génèrent des externalités positives sur l’appareil productif des pays émergents grâce aux transferts de technologie, à l’importation de biens d’équipement, la rationalisation des méthodes productives, etc. La pénétration des investissements directs à l’étranger peut accélérer la croissance de ces pays et enclencher un cercle vertueux bénéfique à toute l’économie (dynamisme de l’emploi, montée en gamme vers les produits à forte valeur ajoutée, réduction des inégalités économiques, etc.). La croissance dégage alors des ressources étatiques pour financer le développement et mettre en place les infrastructures nécessaires au soutien de la croissance à long terme (système éducatif, de santé, infrastructures publiques de transport et de communication, etc.) comme l’explique l’économiste Jagdish Bhagwati. Pour ce qui est de la Chine et de l’Inde, leur croissance de ces quinze dernières années s’est traduite par la forte baisse du nombre des plus pauvres (disposant de moins d’un dollar par jour). L’ouverture aux échanges crée donc une croissance qui profite à toutes les couches sociales, même si les retombées peuvent être très inégalement réparties. Mais imposer d’emblée aux pays émergents les standards et normes sociales des économies développées peut en revanche freiner leur développement et réduire in fine le gain de l’ouverture.
Enfin, les mesures protectionnistes s’avèrent particulièrement délicates à mettre en œuvre dans une économie mondiale complexe où l’intégration économique a fortement progressé : la mondialisation de l’économie (internationalisation des échanges de biens et services, mondialisation de la production des firmes, globalisation financière) a rendu les économies nationales nettement plus interdépendantes. La multinationalisation des firmes s’est accompagnée de la croissance des échanges internationaux de biens et services au sein même de ces entreprises de taille mondiale, ce que l’on appelle le commerce intra-firmes, tandis que les territoires nationaux tendraient à constituer des « terrains de jeu » (level playing field) pour les firmes multinationales (selon la formule de Charles-Albert Michalet), en quête de la rentabilité maximale du capital.
La mondialisation pousse ainsi les Etats à jouer sur leurs avantages compétitifs et à développer des politiques d’attractivité. En s’appuyant sur leurs réseaux de filiales et de sous-traitants, le processus de production d’un bien s’effectue souvent en plusieurs opérations prises en charge par des unités de production implantées dans différents pays dans le cadre d’une stratégie complexe des firmes sur le marché mondial. Les firmes multinationales décomposent la fabrication de leurs produits, surtout lorsqu’il nécessite de multiples opérations (avion, voiture, ordinateur), réalisées dans de nombreux sites de production situés dans des pays différents (Suzanne Berger parle de « modularisation » de la production).
Cette décomposition internationale des processus productifs (DIPP) a historiquement été facilitée par la baisse des coûts de transport et par les économies d’échelle réalisées par les entreprises. La firme peut alors exporter certaines pièces détachées afin de faire réaliser l’assemblage dans des pays où les conditions de production sont plus favorables (abondance de la main-d’œuvre peu qualifiée, faible fiscalité, etc.) ce qui constitue souvent le moteur des délocalisations. Dans ce contexte, élever des barrières protectionnistes pourrait fortement perturber les processus productifs.