Notion

Désindustrialisation

Déindustrialisation, compétitivité de la production française : où en sommes nous ?

Désindustrialisation : l'éternel débat

Lien vers le graphique : L'érosion de l'emploi industriel en France

 

 

 

 

“New types of trade deliver new benefits to consumers and firms in open economies. (…) The benefits from new forms of trade, such as in services, are not different from the benefits from traditional trade in goods. Outsourcing of professional services is a prominent example of a new type of trade. (…) When a good or service is produced at lower cost in another country, it makes sense to import it rather than to produce it domestically. (…) Although openness to trade provides substantial benefits to nations as a whole, foreign competition can require adjustment on the part of some individuals, businesses, and industries”

Mankiw, Forbes et Rosen (2004), Economic Report of the President, Council of Economic Advisisors, transmis au Congrès en février 2004

“This is Alice in Wonderland economics. Nearly every state in the nation has lost manufacturing jobs, and contrary to the administration's economic theories, there is nothing good about it. The administration is putting corporate profits ahead of American jobs. And the exporting of jobs is hurting millions of Americans and countless communities across the country »

Tom Daschle (sénateur démocrate), en réaction à ce rapport du CEA au cours de la campagne présidentielle

Définition

La désindustrialisation se définit selon trois critères complémentaires qui ont chacun une portée et une signification particulière :

  1. Le recul de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée totale
  2. Le recul de la part de l'industrie dans l'emploi total

On comprend d'emblée toute la difficulté à manier des ceux concepts dans le débat public : la part de l'industrie dans l'emploi (critère 2) peut baisser, sans que l'emploi industriel recule, si l'emploi total progresse (cf. figure 1 en annexe). La part de l'industrie dans l'emploi peut baisser, mais non la part de l'industrie dans la richesse créée (critère 1), si les gains de productivité y sont plus rapides que dans les services. Enfin l'employé d'une société de nettoyage occupé dans un atelier industriel se demandera à bon droit s'il travaille dans l'industrie ou dans les services.

  1. L'existence d'un déficit commercial industriel structurel

Ce troisième critère signifie que la taille de l'outil industriel est moins importante qu'elle ne pourrait être (avec les emplois correspondants) du fait que l'offre de produits industriels n'est pas adaptée à la demande nationale, en qualité, en variété, ou en prix. Cette situation accentue le phénomène structurel (et naturel) de la désindustrialisation. Il peut être tempéré par une politique macroéconomique visant à une meilleure compétitivité (structurelle et en termes de prix).

 

Analyse

Première idée, le mouvement de désindustrialisation à l'œuvre depuis la fin des années soixante est d'abord un processus interne aux pays industrialisés, une étape de leur développement résultant de la combinaison d'effets de demande et d'offre.

  1. Côté offre, dans l'industrie, les gains de productivité sont plus rapides que la demande, du fait de l'application du progrès technique. La déformation de la structure de l'emploi au détriment de l'industrie serait donc la conséquence du dynamisme de la productivité industrielle confrontée à une demande en saturation relative – c'est-à-dire à la préférence des consommateurs pour les services. C'est la thèse de William Baumol (1967).
  2. De fait, côté demande, les sociétés à haut revenu consomment plus de services (services récréatifs, santé, services aux entreprises) et moins de biens matériels, en proportion de leur richesse. Un lecteur MP3 suffit… par contre, on peut multiplier la présence aux concerts, au demeurant beaucoup plus chers… Même la commercialisation des biens matériels s'accompagne d'un contenu croissant en services (garanties, assistance à l'utilisateur, assurance, crédit…)

Il serait très coûteux de vouloir contrer ces tendances de fond par des politiques volontaristes car elles résultent des préférences des acteurs.

Deuxième idée, les statistiques doivent être maniées avec précaution : le périmètre de l'industrie devient plus flou à mesure que l'on s'engage dans une activité plus technologique et plus consommatrice de services. Une partie de la désindustrialisation observée est donc simplement la traduction de l'inadéquation de nos catégories analytiques au phénomène observé. Changer de convention conduira sans surprise à porter un regard différent sur la dynamique de la désindustrialisation. La frontière entre l'industrie et les services ne devient-elle pas de plus en plus floue ? L'activité industrielle peut-elle être isolée des autres activités économiques auxquelles elle est souvent étroitement liée ? Les produits eux-mêmes se dématérialisent, gommant la frontière entre industrie et services ; ou encore les produits et les services sont le plus souvent liés (vente d'un PC et d'une hot line). Et les services ne cessent de s'industrialiser (les grandes surfaces depuis l'introduction du code barre…).

Troisième idée, cette désindustrialisation en interne est renforcée par la globalisation et la montée en puissance des pays émergents. Ceci à travers trois canaux essentiels : un mouvement de spécialisation des pays avancés dans les activités moins intensives en travail non qualifié au sein de l'industrie, et dans des activités de services ; une pression concurrentielle accrue des pays du Sud à laquelle les firmes du Nord réagissent par la recherche d'efficacité, et dont les effets passent par les prix, la productivité et finalement l'emploi industriel ; enfin des délocalisations d'activités, participant de la réorganisation des firmes sur une base mondialisée.

Là aussi toute tentative d'enrayer le processus s'avère coûteuse. Par exemple, les mesures protectionnistes dans le secteur de la construction automobile aux Etats-Unis dans les années 1980 (accords de limitation des importations avec le Japon) ont coûté plusieurs centaines de milliers de dollars par emploi sauvé. On retrouve ici la troisième composante de notre définition, le rôle des balances commerciales. Les études relatives aux emplois concernés par les balances déficitaires concluent généralement a des impacts mineurs ; on ne peut guère expliquer le chômage structurel européen par le commerce avec la Chine alors que les déficits américains et européens vis-à-vis de ce pays ne sont pas substantiellement différents.

Quatrième idée, les délocalisations et la sous-traitance internationale associées à ce mouvement de globalisation ont pour effet une sélection des firmes les plus efficaces. Les effets macroéconomiques de ce processus peuvent être dévastateurs si le tissu industriel ne se renouvelle pas, si la mobilité des ressources est entravée par les rigidités de l'économie, les réglementations excessives du marché du travail ou la faiblesse de l'investissement, si les positions dominantes dans la technologie ne sont pas entretenues faute de dépenses suffisantes en R&D ou en raison d'une organisation déficiente de la recherche, si les services à haute valeur ajoutée tardent à prendre le relais.

Or, les fermetures d'usines sont concentrées sectoriellement et géographiquement, dans la mesure où les industries traditionnelles ont été localisées dans des bassins de main d'œuvre disposant d'un savoir faire spécifique, ou à proximité de ressources naturelles. Les impacts négatifs locaux sont donc puissants : ils affectent de surcroît les catégories les plus défavorisées et les moins mobiles, les moins qualifiées. À l'opposé les impacts positifs, même s'ils sont plus élevés que les précédents, sont aussi plus diffus et moins concentrés sur le territoire national (gains de pouvoir d'achat pour l'ensemble des consommateurs), et touchent en premier lieu les plus mobiles et les plus qualifiés. Il y a là tous les ingrédients d'un cocktail politique explosif.

Conclusion

La désindustrialisation n'est jamais que l'envers d'un phénomène de fond à la fois inévitable et largement souhaitable, déjà connu pour l'agriculture : une croissance des progrès de productivité plus rapide que la demande. Elle favorise la tertiarisation des économies et des emplois qui répond parallèlement à un déplacement de la demande. Tout le problème est de gérer la transition : requalification des personnes, indemnisation des régions perdantes… et, de façon plus offensive, politique fiscale incitant à l'investissement et promotion d'un climat favorable à la R&D.

Annexes

Production manufacturière et emploi industriel aux Etats-Unis (1940-2002)

Base 100 en 1980

Source : Heritage foundation

Lecture : l'emploi stagne, la production s'envole

Partage

Y