Définition
L'innovation c'est l'idée qui s'incarne dans le système productif.
Analyse
Innover n'est pas inventer : par exemple, les Grecs ont inventé beaucoup mais (hormis quelques travaux isolés comme ceux d'Archimède) ont très peu innové, du moins dans le domaine civil. Les Américains ont inventé le magnétoscope et le caméscope, les Européens le compact-disc, mais dans les années 1980 ce sont les Japonais qui exploitent ces inventions pour en faire de véritables innovations. D'un point de vue économique, il est plus important de maîtriser l'ensemble du processus de fabrication industrielle, et surtout l'ensemble des processus financiers (en amont) et commerciaux (en aval), que d'"inventer".
L'innovation n'est pas seulement technique. Elle peut aussi être organisationnelle (passage de la firme fordiste au toyotisme, gestion en flux tendu, cercles de qualité, zéro stock/zéro défaut…), managériale (meilleure gestion des RH, meilleure "corporate governance"), financières (fonds de pension, capital-risque, hedge funds, junk bonds, marchés dérivés…).
Les innovations les plus spectaculaires (Internet, satellites…) ne sont pas forcément plus porteuses de croissance et d'emplois que des innovations certes modestes (air conditionné, code barre, conteneurs…) mais qui s'appliquent à une plus large part du stock de capital et de travail. Du point de vue de l'économiste, mieux vaut une petite innovation très diffusée qu'une grande percée technologique quasi-confidentielle et/ou éloignée des besoins des consommateurs : la croissance du Texas et de la Floride doit probablement plus aux climatiseurs qu'à la NASA !
Taxonomie de l'innovation
L'innovation peut être approchée de nombreux points de vue complémentaires
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Innovations de produit vs innovations de procédé
Les économistes ont d'abord travaillé sur les innovations de procédé, la technologie étant entièrement résumée dans la fonction de coût. La création de nouveaux produits ou l'amélioration de produits existants sont des innovations plus difficiles à étudier dans la mesure où elles affectent l'espace de choix des consommateurs.
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Innovations radicales vs innovations incrémentales (de petite taille).
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Innovations génériques vs innovations spécifiques
Les innovations génériques ou horizontales consistent en progrès appréciables dans l'ensemble du système économique. On parle de General Purpose Technology (GTP). Le moteur à explosion, l'électricité, l'ordinateur sont des technologies d'usage généralisé qui affectent l'ensemble de l'économie, y compris dans ses composantes sociales et familiales. C'est dans cet esprit que J. A. Schumpeter parle de "grappe d'innovation".
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Opportunités technologiques ou pression de la demande
L'impulsion de l'innovation est considérée provenir des opportunités technologiques ("technology-push") ou de la pression de la demande ("demand-pull"). Selon Schmookler (1966), ce serait la demande qui jouerait un rôle déterminant pour expliquer à la fois l'intensité et la direction de l'activité d'innovation des entreprises. Les travaux de Scherer (1982) et d'autres ont permis de nuancer ce point de vue.
Actualité et enjeux
L'innovation alimente la productivité globale des facteurs (PGF), c'est à dire le progrès technique, responsable des deux tiers aux trois quarts de la croissance économique dans les pays de l'OCDE où le stock de capital est déjà important et où la démographie stagne. Sans l'innovation, le double mouvement synchronisé d'élévation continue des salaires et de réduction du temps de travail ne serait pas soutenable.
Dans les débats sur la "Nouvelle économie" ou sur l'Agenda de Lisbonne, la question de l'innovation est centrale. Le bien-être du consommateur (des produits plus fiables et plus performants, moins chers et plus différenciés) en dépend largement ; la plupart des voitures conçues aujourd'hui incorporent plus d'électronique à leur bord que les premières capsules Apollo qui sont allées sur la Lune.
Reste que la question essentielle est de savoir d'où vient l'innovation et comment l'intégrer dans un processus de croissance.
L'innovation au cœur du capitalisme : la vision de Schumpeter
L'innovation conditionne l'évolution du capitalisme qui ne peut se réduire, dès lors, à une économie de flux circulatoires en équilibre car "elle n'est jamais stationnaire" (Capitalisme, socialisme et démocratie). La machine capitaliste se renouvelle continuellement sous l'impulsion créatrice de l'entrepreneur. Détenteur "d'aptitudes particulières", il exploite à son profit toutes les imperfections du marché. Introduire de nouvelles combinaisons productives, c'est-à-dire innover, c'est tenter de se placer en situation de monopoleur ; inutile donc de rechercher dans le fonctionnement du système capitaliste un optimum "parétien" ou la concurrence pure et parfaite. La dynamique d'ensemble (un mouvement dit de destruction créatrice) est favorable à tous les groupes sociaux, et notamment à celui des ouvriers qui voient leurs conditions de vie s'élever sensiblement. Par là, Schumpeter s'oppose radicalement à la thèse marxiste de la paupérisation – c'est vrai qu'il naît l'année même où K. Marx meurt. Néanmoins, cette prospérité séculaire n'est pas continue mais cyclique car les innovations se déversent par grappes successives (Théorie de l'évolution économique).
Pour que l'on puisse parler de grappe, il faut que ce qui est au cœur de l'innovation porte sur cinq domaines :
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De nouveaux objets de consommation
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De nouvelles méthodes de production
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De nouvelles méthodes de transport
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De nouveaux marchés
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De nouveaux types d'organisation industrielle
Diffusion de l'innovation
Quand on s'intéresse à l'apparition des innovations majeures du cycle actuel, on remarque que l'ensemble, mis au point entre 1935 et 1974, n'a pas eu de véritables impacts immédiats sur le rythme de croissance de cette période. Aucune de ces innovations ne s'est transformée rapidement en nouvelles industries de croissance, et elles n'ont pas contribué directement et immédiatement à la création d'emplois et à l'augmentation de la productivité constatées dans les "trente glorieuses". II en est ainsi, par exemple, pour l'ordinateur. Environ dix ans après la mise au point de l'ENIAC et deux ans après la commercialisation de l'IBM 701, on comptait, en 1955, seulement dix ou quinze ordinateurs installés. En 1965, il n'y avait que 31 000 ordinateurs dans le monde. Même replacé dans le contexte économique de l'époque, ce chiffre montre à quel point il est vain de chercher un lien théorique ou pratique entre les innovations majeures mises au point entre 1940 et 1975 et le régime de croissance spectaculaire de cette période. Les hydrates de méthane, la chasse aux neutrinos, les nanotubes de carbone, la supraconductivité, les matériaux à puits quantiques… tout cela, c'est bien, mais d'un point de vue macroéconomique de court terme, c'est de peu d'effet… Paul David estime à 40 ans après l'invention de la dynamo le moment où les gains de productivité liés à cette innovation commencent à se faire sentir. Il faut du temps pour que l'économie et les qualifications s'ajustent, et pendant plusieurs années, les coûts liés a l'innovation peuvent compenser les gains. Cela peut expliquer, au moins partiellement, la formule de Solow (1987) "Je vois des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques du PIB".
Incitations, protections
Le rôle de l'innovation dans la croissance doit être replacé dans un contexte plus large.
Tout un courant théorique (la "Nouvelle Ecole Historique", Douglas North et Robert William Fogel en particulier, (prix Nobel 1993) relativise le rôle joué par l'innovation : à long terme, c'est la qualité des institutions, et en particulier l'extension et la garantie des droits de propriété, qui importe, et qui détermine l'innovation. Selon les estimations de ces auteurs, le chemin de fer n'aurait contribué qu'à hauteur de 3% à la croissance américaine de la fin du XIXème siècle. La croissance serait donc davantage liée aux "barbelés dans la prairie" (c'est-à-dire à une propriété privée mieux protégée) qu'à Thomas Edison. Sans un environnement juridique favorable l'incitation à innover est très faible.
En effet, la difficulté particulière que pose l'analyse des activités R&D provient de ce que son principal input et son principal output sont de l'information, qui est à la fois coûteuse à créer et copiable à coût presque nul. Comme le gain direct que peut retirer un agent d'une innovation est en général assez faible, on arrive au paradoxe suivant : pour chaque agent il est inefficient de créer (utilité plus faible que le coût) mais il est efficient de copier (utilité plus grande que le coût de la copie qui est quasi-nul). Puisque tout agent économique rationnel prend ses décisions sur la base de ses gains et coûts, les candidats innovateurs préféreront s'abstenir. En revanche si, par un artefact juridique (droit de propriété), le candidat innovateur peut capter une partie des gains dont bénéficient les autres agents, alors il entreprendra un programme de R&D.
Le degré de protection associé à la propriété intellectuelle est dès lors enjeu de premier rang dans une économie de l'innovation fondée sur la connaissance : il s'agit d'éviter le double écueil de la protection excessive (où l'innovateur s'accapare une rente indue en pratiquant un prix de monopole pendant une trop longue durée) ou insuffisante (où l'incitation à l'innovation est alors trop faible, occasionnant une perte importante pour l'ensemble de la collectivité). C'est tout le dilemme des brevets. Depuis l'article fondateur de Kenneth Arrow (1962), on comprend mieux les raisons pour lesquelles l'allocation des ressources et la coordination par les forces du marché ne sont pas toujours optimales pour la production d'innovations sur le plan collectif. Deux raisons sont au cœur de l'analyse : les risques inhérents à toute recherche et la nature de bien public des produits de la recherche.
a. La décision d'innover est un processus risqué, puisque l'innovateur n'est pas assuré à l'avance que son effort d'invention sera récompensé sur le plan commercial ni même qu'il va aboutir sur le plan technique. Comme dans le cas d'autres activités dont le résultat est entaché d'incertitude, on peut se demander si un mécanisme d'assurance ne pourrait pas protéger l'innovateur contre les aléas et conduire à une allocation optimale des ressources dans un univers incertain. La réponse est négative : certes, des financements spécifiques du capital-risque existent, mais ils permettent au mieux d'alléger les obstacles au financement de l'innovation sans constituer un véritable mécanisme d'assurance. Du fait de l'impossibilité d'observer et de contrôler l'effort de recherche individuel, un mécanisme d'assurance contre le risque d'échec de production d'un nouveau bien ou de mise au point d'un nouveau procédé ne peut en effet qu'affaiblir les incitations individuelles à réussir le projet. Ce qu'on observe plutôt, ce sont des mécanismes d'auto-assurance ou de gestion des risques. Ainsi, les grandes entreprises ont souvent un avantage important par rapport aux innovateurs individuels parce qu'elles ont les moyens de mener plusieurs projets de recherche simultanément et de diversifier les risques correspondants. Un tel mécanisme d'assurance par la gestion d'un portefeuille de projets discrimine clairement entre ceux qui ont les moyens d'entreprendre simultanément plusieurs recherches et les autres. C'est une première source d'imperfection des forces du marché dans l'allocation des ressources pour la production d'innovations. On retrouve là une certaine justification de l'argument schumpetérien selon lequel les grandes entreprises auraient un avantage, en matière d'innovation, sur les unités atomistiques des marchés de concurrence parfaite.
b. Une deuxième imperfection tient à la nature du bien connaissance résultat de l'innovation. La connaissance est coûteuse à produire mais, à l'inverse des biens ordinaires, une fois produite elle n'a pas besoin d'être reproduite et elle peut être utilisée par chacun sans perdre pour autant son utilité intrinsèque. Contrairement à la plupart des biens courants, la connaissance est un bien pour lequel il n'y a pas de rivalité entre les consommateurs : elle n'est pas détruite par l'usage. Pour créer l'incitation à la production de connaissance, il faut soit confier cette activité à la sphère publique (c'est souvent le cas de la recherche dite fondamentale), soit l'étendre à la sphère privée en l'accompagnant d'une certaine forme de protection, c'est à dire en garantissant au producteur individuel de connaissance un droit de propriété plus ou moins exclusif lui permettant de percevoir des revenus issus de l'utilisation de cette connaissance. C'est le rôle des brevets et des licences d'exploitation. Ces titres constituent une source d'inefficacité économique : l'attribution par la société d'un droit de propriété intellectuelle au producteur de l'innovation est à la fois une condition nécessaire à sa production et une source de pouvoir de monopole dans son exploitation. Les biens qui sont à la fois sans rivalité et non exclusifs sont des biens publics purs dont un exemple type est donné par la recherche fondamentale. Les biens qui sont à la fois non rivaux et exclusifs sont des biens publics marchands dont un exemple type est précisément donné par les connaissances résultant des innovations industrielles. Dans les deux cas, la connaissance a des attributs qui la rapprochent au moins autant de celle d'un bien public que d'un bien privé. Au niveau global, les connaissances nouvelles produites par des agents privés sont étroitement liées aux rendements d'échelle croissants et à la concurrence imparfaite ; cette idée est abondamment exploitée dans les modèles de croissance endogène.
La perspective d'un profit futur (impliquant à la fois le recouvrement du coût fixe et l'obtention d'une rente liée à l'exploitation de la découverte) est une condition nécessaire à la production de l'innovation industrielle ; le profit est au cœur de l'innovation industrielle. A titre d'illustration, les études économétriques estiment le taux de rendement moyen de l'investissement en recherche dans une fourchette de 15% à 30%, alors que le rendement moyen du capital physique varie entre 10% et 15%. Sur le plan statistique, la distribution des profits liés à l'innovation est caractérisée par une très forte asymétrie : les innovations ayant connu le plus grand succès commercial constituent une part écrasante de l'ensemble des profits.
Conclusions
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L'innovation n'a pas le même impact sur la croissance à tous les stades du développement économique : un rôle cardinal pour les économies "matures" (zone OCDE), un rôle transitoirement plus limité pour les pays émergents du type Sud-Est asiatique. Pour reprendre une formule célèbre de Paul Krugman, la croissance des dragons d'Asie est faîte "de transpiration plus que d'inspiration" : l'augmentation quantitative des facteurs de production, travail et surtout capital, est bien plus importante que la hausse de la PGF. L'innovation technologique ne joue qu'un rôle second dans les premières phases du développement économique, du fait en particulier de la possibilité de profiter des innovations des pays leader (lorsque les frontières sont ouvertes) ; par contre, du fait des rendements décroissants et lorsque les processus de rattrapage et de transition démographique s'achèvent, l'innovation devient le principal moteur de la croissance de moyen terme, via les gains de productivité.
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Le progrès technique marche main dans la main avec le libre-échange : importer des innovations permet de gagner du temps dans le développement (ne pas avoir à "réinventer la roue") ; l'innovation est désormais au cœur des discussions sur le commerce international menées notamment dans le cadre de l'OMC (cycle de Doha).
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L'innovation a, du point de vue microéconomique des conséquences contradictoires. D'une part, elle entraîne une montée des coûts très significative, particulièrement dans le secteur de la pharmacie, et très difficile à tarifer. D'autre part, l'innovation entraîne un accroissement de la concurrence, le cas échéant par un déplacement de la nature de l'offre. C'est le cas, par exemple, avec l'intrusion de nouveaux entrants (la presse gratuite) ou de substituts (la presse en ligne ou le livre électronique face aux métiers traditionnels de l'édition et de l'imprimerie par exemple).
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Les idées ne sont pas des biens comme les autres. Elles n'émergent qu'à certaines conditions : éducation, esprit d'entreprise, contexte juridico-économique de l'innovation, et contexte politique. C'est ainsi que, par exemple, les OGM sont acceptés dans certains pays et refusés dans d'autres. D'où la question politique : comment créer un contexte "porteur" et incitatif pour assurer le développement de l'innovation ? C'est le thème des réformes structurelles, la justification des politiques d'aide à la recherche, l'importance des politiques de protection de la propriété intellectuelle et le conflit éventuel avec la nécessaire diffusion gratuite des inventions utiles comme les médicaments dans les PVD. L'exemple des Etats-Unis suggère également de creuser des pistes comme les liens université-recherche (très défaillants en France), la fiscalité, l'ouverture aux compétences étrangères et les économies d'agglomération ("clusters", effet Silicon-Valley) plutôt que le saupoudrage des efforts dans une logique clientéliste travestie en politique d'aménagement du territoire...