Notion

Droits de douanes

"Les droits de douane protecteurs sont aussi coercitifs qu'une armée appliquant un blocus et le but est le même, interdire le commerce. Il existe cependant une différence entre les deux car si, par leur armée, les nations veulent empêcher leurs ennemis de commercer par leur tarif douanier, c'est à leurs propres citoyens qu'elles entendent interdire la liberté des échanges. Le protectionnisme consiste à faire à nous-mêmes en temps de paix le mal que nos ennemis cherchent à nous infliger en temps de guerre. Peut-on imaginer une plus grande distorsion de langage que celle qui consiste à appliquer aux relations commerciales des termes qui suggèrent un conflit et de faire référence à une inondation, à un déluge, à une invasion, à un écrasement, pour décrire les importations en provenance d'un certain pays ? Or, s'agit en l'occurrence de l'obtention des biens et services, c'est-à-dire de choses que nous sommes tous très heureux d'obtenir"

Henry George (1886)

 

Définition

Le tarif douanier se définit comme un protectionnisme par les prix. Il vise à augmenter le prix des produits étrangers sur le territoire national. Le tarif ad valorem représente la forme privilégiée du tarif douanier. Il consiste à appliquer un certain pourcentage à la valeur déclarée du produit. Il se distingue du tarif spécifique, levé sous forme d'un montant fixe par unité du bien importé.

 

Analyse

 

Faut-il baisser les droits de douanes si les autres ne le font pas ?

Ce qui est intéressant pour le bien être des populations, c'est l'importation ; exporter n'est pas un but en soi, contrairement à ce que pensaient les mercantilistes. C'est la logique des avantages comparatifs : en important, on libère des ressources de la production de biens où on avait un désavantage comparatif vers la production de biens où on a un avantage comparatif. La parabole suivante est de Jagdish Bhagwati, un des grands spécialistes mondiaux du commerce international : dire "je ne baisse pas mes tarifs douaniers parce que mon voisin ne le fait pas", c'est comme dire qu'un pays (la France) avec des ports libres et faciles d'accès doit ériger des barrières rocheuses à l'entrée de ses ports afin d'avoir autant d'obstacles au commerce qu'un pays mal desservi par la géographie (la Russie). Autrement dit, ce n'est pas parce que les autres se font du mal que l'on est obligé de s'en faire aussi.

 

La croissance économique est-elle une condition préalable à la baisse des droits de douane ?

La taxation des flux de marchandises a longtemps été l'une des sources principales de recettes fiscales des pouvoirs politiques. Il suffit de contrôler les voies de circulation et d'y mettre des percepteurs ! Il y a donc une condition matérielle à leur disparition, aujourd'hui encore bien valable dans nombre de pays en développement, c'est la découverte de ressources fiscales de substitution.

Dani Rodrick rappelle qu'aux Etats-Unis les tarifs étaient très hauts durant la grande période de développement du pays (1865-1914) : ils ont apporté au gouvernement fédéral plus de la moitié de ses revenus au cours de cette période (et jusqu'à 90% lors de la guerre de sécession !). De même, on observe empiriquement que les grandes réussites économiques de ces dernières années (la Chine et, dans une moindre mesure, l'Inde) ont été enregistrées dans des pays où les droits de douane, quoique sur un trend nettement baissier, sont encore très élevés. Les tableaux suivant sont issus de Rodrick et Rodriguez (2000).

Cette substitution progressive d'une ressource fiscale à une ressource douanière n'est possible que si le niveau de vie s'accroît et qu'il est possible de taxer les flux de revenu ou de consommation. Il y faut aussi une autre condition : reconnaître que les droits de douane finissent toujours par constituer une protection pour une catégorie de population au détriment d'une autre. C'est ce que l'histoire nous révèle dans ses vagues de protectionnisme.

 

Les vagues de protectionnisme depuis le XIX° siècle

Il a fallu un siècle et demi de croissance et une grande crise directement liée à la ferveur protectionniste pour que l'Occident s'engage, et engage le monde avec lui, dans une programmation concertée et systématique du désarmement douanier.

  1. Le secteur agricole a toujours été parmi les plus protégés. Au début du XIXème siècle, les Corn Laws sont mis en place en Grande Bretagne. Ces tarifs douaniers sur les céréales, imposés par les aristocrates en 1815 afin de maintenir des prix élevés malgré la fin du blocus napoléonien, ont été critiqués par Ricardo ; coûteux en bien être, ils ont été abolis en 1846. L'Angleterre devient le pays du libre-échange.
  2. Une nouvelle vague protectionniste, plus puissante, submergera l'Europe et le monde à la fin du siècle : accord Zollverein en Allemagne (1878), tarifs Mac Kinley aux Etats-Unis (1890) et loi Méline en France (1892), ce qui fit écrire à Paul Bairoch"qu'à l'exception du Royaume-Uni, le monde développé est alors un océan de protectionnisme". Certains pays européens reprennent les théories de Friedrich List sur le"protectionnisme éducateur" : il faut protéger les industries naissantes avant qu'elles ne puissent s'affronter à la concurrence internationale. L'idée est sans doute plus politique qu'économique, c'est une réponse nationaliste et romantique au libre-échangisme anglais. Elle ne fonctionne guère car cette protection perturbe l'innovation et prépare peu à la concurrence. Avec le temps, elle devient une rente très difficile à enlever. Il suffit par exemple de voir dans quelles conditions et à quelle époque l'Allemagne est sortie du protectionnisme éducateur.
  3. Une troisième vague tarifaire, la plus puissante de toutes et qui n'épargne pas même le Royaume-Uni, fait suite à la crise de 1929 ; elle se caractérise par une sorte de"compétition douanière", le repli sur les empires coloniaux et la montée des tensions géopolitiques. Avant même la fin de la deuxième guerre mondiale, les leçons sont tirées de ce jeu non coopératif : il faut un désarmement douanier général, progressif et multilatéral.

Depuis les grands rounds du GATT, le tarif douanier ne constitue plus un outil privilégié de protection : sa trop grande visibilité a conduit sinon à sa disparition, du moins à une diminution marquée des taux moyens ; les cycles de négociations multilatérales ont permis de faire passer les barrières tarifaires de 40% en moyenne en 1947 à moins de 4% aujourd'hui en moyenne pour les grands pays industrialisés.

Le masque des taux moyens

Ces taux moyens n'ont qu'un sens économique limité car la réduction des barrières tarifaires est loin d'être uniforme selon les produits : jusqu'au cycle de l'Uruguay round (1986-1994), l'abaissement des tarifs douaniers concernait pour l'essentiel les produits industriels. Les produits agricoles, les services, le secteur textile ont longtemps échappé aux négociations.

On observe ainsi des "pics tarifaires" : l'UE applique des droits de douane allant jusqu'à 236% sur la viande et 180% sur les céréales, par exemple, et les Etats-Unis perçoivent plus de droits de douane sur les chaussures que sur les voitures : le rapport est de un à dix même si les chaussures ne représentent qu'une toute petite partie de leurs importations comparées aux voitures. Ce que Gresser (2002) nous montre (pour une synthèse, voir FMI, 2002), c'est que les taux moyens dissimulent le fait que ce sont les pays pauvres qui sont les plus durement touchés par les droits de douane. En valeur absolue, les Etats-Unis perçoivent plus de droits de douane sur les importations en provenance du Bangladesh (environ 400 dollars de PIB par habitant) que sur celles en provenance de France (environ 25 000 dollars de PIB par habitant), en dépit du fait que les Etats-Unis importent douze fois plus de produits français (en valeur) que de produits du Bangladesh. La raison en est simple : ce sont les produits à forte intensité de main d'œuvre qui subissent les pics. Par ailleurs, les droits appliqués à une même catégorie de biens sont plus élevés pour la version bon marché que pour la version de luxe. C'est ainsi que les textiles synthétiques plus taxés que la laine et le coton, eux-mêmes plus taxés que la soie... Au total, les droits de douane devraient être analysés comme des taxes régressives sur les pauvres.

 

Droits de douane et développement

Il existe bel et bien un "rideau de fer tarifaire" entre le Nord et le Sud : les PVD n'ont pas de véritable accès aux marchés des pays riches pour les biens pour lesquels ils ont un avantage concurrentiel, tout particulièrement en matière agricole. La CNUCED chiffre à 700 milliards de dollars par an la perte de revenus des PVD par manque d'accès aux marchés des pays riches. Le livre blanc du gouvernement britannique estime qu'une réduction de 50% des droits de douanes dans les pays industrialisés et en développement mènerait à une augmentation de la richesse de 150 milliards de dollars dans les pays les plus pauvres, soit trois fois le montant de l'aide internationale. C'est pourquoi des pays aussi différents que le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Bénin et la Chine militent en faveur de baisses des tarifs douaniers à l'OMC (par exemple au sommet de Cancun, 2003).

Le graphique suivant montre que la belle n est pas seulement dans le camp des pays de l OCDE :

Tarif douanier et ouverture au commerce international : Chine (1978-2000)

Lecture : L'axe de gauche donne le ratio du commerce international au produit intérieur brut (GDP) sur échelle logarithmique. L'axe de droite indique le taux de douane moyen. On voit que l'ouverture s'est produite en deux étapes (1982-1986 puis (1992-1996). Durant la première période, les droits moyens sont passés globalement de 50 à 40% de la valeur des importations. Dans la seconde, ils se sont effondrés de 40 à 20%.

Les dates rappellent les principaux événements qui ont marqué cette ouverture :

- 1978 : le commerce est monopolisé par le (Ministry of Foreign Economic Relations and Trade, MOFERT) ;

- 1979 : ouverture des Zones Economiques Spéciales (SEZ) aux investissements directs étrangers (FDI). Les devises obtenues par le commerce international sont monopolisées par les autorités publiques ;

·- 1984-1988 : Le nombre de compagnies de commerce international est décuplé ;

- 1986 : Ouverture du marché des devises.

Source : Easterly (2002)

 

Conclusion

1. Il ne faut pas enterrer trop vite les droits de douane et ce, pour plusieurs raisons :

- La formation d'unions économiques régionales telles que la Communauté économique européenne (CEE) a entraîné la mise en place de tarifs douaniers communs vis-à-vis des pays tiers. Cela a permis de solidariser la zone économique à défaut d'en avoir fait une Union politique.

- Le tarif douanier reste un outil utilisé de manière ponctuelle par les pays développés, en guise de sanctions et de représailles, et cette fonction traditionnelle du tarif n'est sans doute pas prête de disparaître, en dépit de l'avertissement lancé par Henry George il y a plus d'un siècle.

- Le protectionnisme par les prix s'avère plus transparent et moins nocif que le protectionnisme par les quantités (quotas) et les différentes barrières non tarifaires (restrictions "volontaires" à l'exportation, lois anti-dumping, subventions, contrôles des changes, restrictions sanitaires, licences, contrôles techniques…). Mais il est vrai que c'est un argument du type "moindre mal".

2. Tout cela n'est pas anodin, ni pour les pays du Nord – une famille monoparentale américaine dont le revenu annuel moyen est de 25 000 dollars dépense plus de 300 dollars en droits d'importation, dont les deux tiers pour les vêtements, ce qui représente trois jours de salaire par an, ni surtout pour ceux du Sud.

 

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