Notion

Pays émergents

"Il y a un mythe à combattre : celui d'un monde en développement qui, grâce à la globalisation de l'économie mondiale, irait de mieux en mieux sous la conduite d'une quinzaine de dragons"
James Gustave Speth

Directeur général (américain) du PNUD, 1996

Définition

On appelle couramment "pays émergent" un pays en développement ayant déjà rattrapé en partie les pays développés (par exemple, les Nouveaux Pays Industrialisés d'Asie (NPIA) : Corée du Sud, Taiwan, Hong-Kong, Singapour) ou qui semble sur la bonne voie pour connaître la même succes story (Chine, Inde dans une moindre mesure …). Il s'agit principalement des économies du Sud-Est asiatique, des Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) et de quelques pays d'Amérique latine, mais aussi de la Turquie, de l'Afrique du Sud... Comme il n'y a pas de critères clairs, on appelle souvent indifféremment "pays émergents" tous les pays en développement qui connaissent une croissance forte, sans plus de précisions. En voici quelques exemples parfois inattendus…

Taux de croissance annuel moyen sur la période 1990-2002

Source : à partir des données du FMI et de la Banque mondiale.

Analyse

Les taux de croissance exceptionnels de certains pays doivent être relativisés car ils partent souvent de très bas, ils sont dopés par une croissance démographique parfois vive, ils reposent sur une logique extensive qui est par nature provisoire {voir les travaux de Young (1995)}. Bien que cela soit souvent un handicap (cf. le dutch desease), ils bénéficient parfois d'avantages spécifiques tels que des ressources en matières premières et/ou en pétrole qui facilitent le financement de la croissance.

Pour autant, l'environnement juridique de beaucoup de pays émergents est encore incertain. Bien des Etats souffrent de problèmes de gouvernance qui compliquent la tâche des entreprises amenées à traiter avec les collectivités publiques. La corruption est un fléau répandu, l'instabilité politique élevée, le respect des contrats incertain. Ensuite, la volatilité des taux de change, des taux d'intérêt et de l'inflation complique le calcul économique et rend périlleuse toute décision d'investissement. Au total, la croissance est certes élevée mais se fait "au fil du rasoir" (voir l'étude de cas sur la Chine, disponible sur ce site) ou "de crise en crise".

Le rôle de l'insertion dans la division internationale du travail

Généralement, les émergents ont fondé leur développement sur l'insertion dans les échanges mondiaux et la réforme des institutions (protection des droits de propriété en particulier). On le vérifie facilement dans le tableau suivant, résultat d'une étude célèbre de Jeffrey Sachs et Andrew Warner qui porte sur une période assez longue pour que les résultats puissent en être considérés comme significatifs. Pour confirmer cette étude, on observe que les pays émergents connaissent une foudroyante progression de la part des échanges (importations, exportations) dans le PIB au cours des années 1980-90. Entre 1977 et 1997, cette part a plus que doublé en Chine, a doublé au Mexique, en Argentine, aux Philippines et en Malaisie, et a presque doublé au Bangladesh et en Thaïlande. Par contre, elle a régressé d'environ 50% au cours de cette période dans des pays bien peu émergents : Zambie, Egypte, Nigeria…

Libre-échange et croissance entre 1970 et 1990

Source : Sachs et Warner (1995)

On ne sera pas trop surpris de constater que les pays émergents militent de plus souvent pour un désarmement douanier des pays du Nord, dans le domaine agricole principalement.

Le capital est-il attiré par les pays émergents ?

Selon le modèle de base que les économistes ont en tête, le capital devrait se déplacer des pays riches aux pays pauvres afin de profiter d'un rendement plus élevé dans ces derniers (un équivalent de l'adage boursier "high risk, high return"). En réalité les flux sont plus forts entre pays riches qu'entre pays riches et pays pauvres. Le fait que les capitaux du Nord ne se dirigent pas vers le Sud mais vers le Nord est, avec la réduction de la mobilité des personnes, l'une des deux grandes différences entre la vague actuelle de mondialisation et la première vague (fin du XIXème, début du XXème siècle).

Ratio des capitaux étrangers rapporté au PIB selon le niveau de développement relatif en 1913 et 1997

Source : FMI (2004), à partir des données de Obstfeld et Taylor (2004)

En termes d'IDE, les PVD (émergents en tête) n'attirent qu'environ 30 % des flux totaux. Une bonne partie de ces flux sont absorbés par la Chine. Les pays en développement qui ont bénéficié de l'expansion des échanges et des investissements étrangers ont été peu nombreux, bien que leur nombre ait augmenté. Douze pays d'Asie et d'Amérique latine comptent pour 75% du total des flux de capitaux, tandis que 140 des 166 pays en développement en ont reçu moins de 5% au cours des années 1990. Une grande partie des investissements étrangers est effectuée dans un éventail restreint de branches d'activité par des entreprises de quelques pays. Le rendement du capital est plus haut dans les pays pauvres mais les risques associés aux transactions et les barrières institutionnelles constituent des freins puissants. D'où l'importance d'un climat favorable à l'investissement dans le pays d'accueil.

Flux net de capitaux privés vers les pays émergents, à partir des données IFI (Institute of International Finance)

Source : BNP PARIBAS (2003)

Depuis la crise asiatique et le défaut de paiement de la Russie, les flux internationaux de capitaux privés ont changé de cours. Cela a entraîné de graves conséquences dans des pays pourtant très éloignés (Brésil, Turquie…) et n'ayant à première vue rien à se reprocher. Ce phénomène est appelé contagion. Il est en partie du au fait que les investisseurs raisonnent par classe de risques : une fois que le "risque émergent " monte, il monte pour tous les pays de cette catégorie. Cela tient au fait que les pertes enregistrées sur un pays ou un groupe de pays sont compensées par le retrait des fonds investis dans d'autres pays considérés comme proches.

Qui dit émergent dit crises ?

L'endettement international rend vulnérable aux crises de change. Celles-ci peuvent avoir une cause interne (mauvaise gestion macroéconomique) ou externe (les fluctuations du dollar). Les résultats sont, dans les deux cas, catastrophiques

Crise mexicaine de 1994, crise asiatique de 1997, crise russe de 1998, crise brésilienne de 1999, crise argentine en 2001, pour ne parler que de celles qui ont défrayé la chronique car l'Argentine ou le Venezuela ont aussi subi des chocs économiques très violents. Le coût de ces crises est considérable. La crise asiatique a coûté environ 20% de son PIB annuel à la Corée, 30% à la Thaïlande et 40% à l'Indonésie. Pour certaines entreprises occidentales présentes dans ces pays, les pertes ont été très importantes.

 

La récurrence même de ces crises a amené les économistes à s'interroger sur les bienfaits de l'intégration financière pour les émergents, bien plus discutables que les bienfaits de l'intégration commerciale. Pourtant, et bien que le tableau soit contrasté, on observe qu'une plus grande intégration financière est le plus souvent associée à une croissance forte. 

Pas de jeu à somme nulle

Contrairement à ce qui est souvent avancé, le développement des économies émergentes ne se fait pas au détriment des économies industrialisées de longue date. Les affaires de délocalisations, par exemple, fortement médiatisées, masquent un fait bien plus lourd : ces pays deviennent, grâce à leurs progrès, des clients importants pour les pays riches. Pour ces derniers, et à condition de jouer le jeu finement, il y a là de fantastiques opportunités, la progression des importations des pays émergents en témoigne. Certes, ces importations ne représentent qu'une face de la balance commerciale, mais c'est un élément du débat que l'on cite rarement et hors matières premières une majorité de pays émergents sont importateurs nets.

Importations des pays émergents

Source : COE, à partir des données de Rexecode

Conclusion

Le jugement de Speth cité en introduction apparaît franchement sévère : adapté à un monde où les émergents étaient de petits pays laboratoires des réformes (Chili…) ou des entrepôts menés d'une main de fer (Singapour…), en un mot des confettis peu significatifs statistiquement, il n'apparaît plus pertinent dans un monde où des géants démographiques (Chine, Inde) connaissent un rattrapage accéléré.
 

 

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