"There is no better way to learn the power of the market system than to study the socialist economies"
“Socialist economy reform: lessons of the first three years”, American Economic Review Stanley Fischer (1993)
Définition
L'économie de marché est un processus concurrentiel de découverte de l'information par l'entrepreneur.
Analyse
Les règles de base d'une économie de marché
L'économie de marché repose sur la confiance et sur des règles, sur quatre règles :
1. Un régime de droits de propriété (reconnus, échangeables, défendus)
L'économie de marché commence par la protection de la propriété intellectuelle (les brevets par exemple), car il s'agit d'un véritable libérateur des initiatives. Cette protection s'étend ensuite logiquement à la propriété matérielle des entreprises et, tout particulièrement, à la décision de produire tel bien, ici et maintenant, avec les facteurs de production choisis. Les difficultés de contrôle de la gouvernance des entreprises que l'on observe parfois ne sont pas le signal d'une incohérence du système, mais de la difficulté concrète d'atteindre cet objectif dans un univers complexe. Ainsi, le travail, comme facteur de production, n'est pas seulement un coût, mais une source d'initiatives nécessaire à la réussite du projet d'entreprise.
2. Un mode de formation des prix
Dans une économie de marché, les prix jouent le double rôle de signal et de principe d'action.
- a. Les prix véhiculent de l'information sur les préférences des agents
- b. Le signal des prix est confronté aux conditions monétaires de production par les entrepreneurs. Ils transforment les désirs des consommateurs en biens et services si l'opération permet de dégager un profit. Cette notion de profit n'est pas séparable de celle qui pousse un consommateur à choisir un produit moins cher pour accroître son pouvoir d'achat.
- c. Ce double rôle des prix fonctionne aussi au sein de l'entreprise de sorte que l'entrepreneur est celui qui utiliser des façon efficiente des ressources rares pour maximiser leur utilité.
"La fonction des prix et des salaires est moins de rétribuer les individus pour ce qu'ils ont fait que de leur dire ce qu'ils devraient faire dans leur propre intérêt comme dans l'intérêt général" (Hayek).
Les autorités politiques sont fréquemment tentées de modifier le régime de prix du marché :
- a. Le gouvernement peut imposer des prix différents des prix de marché pour des motifs de justice sociale, de respect de l'environnement... Dans ce cas, il est vraisemblable qu'il doive se faire offreur directement ou qu'il doive subventionner les entreprises. L'histoire montre que, même si le motif est justifié, on entre alors dans des situations de monopole de fait, de marchandage et de contrôle du contrôleur. C'est une des raisons principales qui justifie l'organisation d'une forme de concurrence dans ces secteurs. Le transport public en offre un bon exemple puisque, désormais, les Conseils régionaux pourront choisir les prestataires de service public de transport.
- b. Passer d'un régime de prix contrôlés à un régime de prix libre est toujours difficile à cause des interactions entre l'épargne accumulée et des distorsions de prix que l'administration a laissé se produire. Un exemple radical en a été donné dans le cadre de la transition vers l'économie de marché. Dans les pays du bloc communiste et dans les économies apparentées existait un "surplomb monétaire" (excès de liquidité dans l'économie) causé l'épargne forcé (pénurie de biens, difficultés d'accès au marché non-officiel) et par le rationnement (il fallait conserver des liquidités pour faire face aux incertitudes d'approvisionnement) ; lorsque ce problème n'a pas été résolu au préalable, la libéralisation des prix a attisé l'inflation.
3. Une structure de marché
L'économie de marché repose nécessairement sur un système de concurrence, mais pas nécessairement sur la forme idéalisée de la concurrence pure et parfaite (cf. W. Baumol et la théorie du marché contestable).
Cela suppose d'organiser la lutte contre les monopoles par une législation antitrust ajustée à la situation effective des marchés et de faire attention aux réglementations qui accordent des monopoles de fait (on se souvient peut-être que le système de télévision SECAM avait été retenu au moins partiellement pour favoriser l'industrie française de la télévision). La libéralisation du commerce extérieur complète heureusement ce dispositif car elle est signal constant que d'autres entrepreneurs d'autres pays font actuellement mieux avec les techniques disponibles. Enfin, la libéralisation des mouvements de capitaux permet aux plus entreprenants d'associer travail et capital de la manière économiquement la plus efficace indépendamment dans un environnement géographique élargi. On a dit des NPIA qu'au cours de leur décollage axé sur l'insertion dans les échanges internationaux ils n'avaient pas tant gagné des parts de marché qu'une structure de marché.
4. Une monnaie convertible
L'inflation est une perversion du signal des prix. En actualisant une image de M. Friedman, l'inflation opère un brouillage sur les canaux de transmission des émissions de télévision. Tout le monde peut deviner quel type d'émission passe sur Canal+ mais il faut un décodeur pour la comprendre. De même, tout le monde peut deviner qu'il y a un surcroît de demande en cas d'inflation, mais aucun entrepreneur ne peut savoir avec certitude s'il est concerné. L'économie de marché nécessite donc que la création monétaire soit exactement ajustée aux besoins de l'économie.
Pour que les signaux venant de l'extérieur puissent être entendus, il faut de même que le change reflète effectivement les parités de pouvoir d'achat, au moins dans le long terme. Cela suppose un régime de libre convertibilité de la monnaie nationale en devises.
Au total, une économie de marché constitue un ensemble cohérent de règles constituées par la propriété privée, des marchés concurrentiels sur lesquels se forment des prix assurant l'ajustement entre l'offre et la demande et l'allocation des ressources par l'intermédiaire d'une monnaie convertible. Les profits jouent un rôle particulier dans une économie de marché, comme récompense pour l'entrepreneur et surtout comme signal pour de nouveaux projets.
L'économie de marché en questions
L'économie de marché est sans cesse combattue. Il est vrai que le "laissez-faire" qui sous-tend nombre de ses principes a quelque chose de frustrant pour les gouvernants.
1. L'économie de marché constitue un tout cohérent
On ne peut pas faire son marché dans ces règles du marché : elles sont intrinsèquement liées, elles forment un tout indissociable. Une application partielle risque d'éloigner de l'optimum plutôt que d'en rapprocher : c'est l'une des raisons de l'échec de la perestroïka gorbatchévienne. Comme Janos Kornai l'a montré à propos de la Hongrie, les tentatives d'un "socialisme de marché" inspirées d'Oskar Lange sont des échecs complets (échec pour instaurer une véritable contrainte budgétaire au sein de l'entreprise, par exemple).
2. L'économie de marché se décline en modèles…
Le fait de constituer un tout cohérent ne signifie pas que les correctifs sont impossibles : l'économie de marché est l'unité de lieu, la formule retenue par les agents économiques des pays développés, mais dans cette équation l'exposant libéral peut être plus ou moins fort, comme en témoigne par exemple l'expression "économie sociale de marché". Plusieurs modèles sont possibles à l'intérieur du cadre englobant "économie de marché" : les économies de la Suède, des Etats-Unis, de la France et de Taiwan sont très différentes les unes des autres, ce sont pourtant toutes des économies de marché.
3. L'économie de marché est plastique et adaptable
Alors que l'économie planifiée repose sur une approche statique de l'équilibre économique, l'avantage de l'économie de marché réside dans la rapidité des ajustements face à des conditions qui ne cessent d'évoluer.
4. D'où vient l'économie de marché ?
On ne sait pas. Comme l'individualisme avec lequel elle entretient des liens de complicité, l'économie de marché semble se renforcer sans cesse à travers l'histoire à partir d'origines inconnues. Il y a sept ou huit siècles, les cités italiennes appliquaient déjà la plupart des règles mentionnées plus haut. Certains économistes (le courant autrichien en particulier) utilisent l'image de Popper d'un sentier dans la forêt : le marché serait trop complexe pour avoir été inventé, il n'y a pas de grand architecte. Le marché aurait construit notre intelligence, ce n'est pas notre intelligence qui aurait construit le marché. Pour d'autres auteurs, le marché est une construction sociale qui dépend des institutions et qui nécessite une adhésion consciente des agents économiques.
5. Où va l'économie de marché ?
On ne sais pas, mais l'espace du marché s'étend depuis quelques décennies dans l'espace géographique – ouverture progressive de la Chine a partir de 1978, de l'Inde a partir de 1991…, et dans l'espace social – de nombreuses prestations qui ne faisaient traditionnellement pas l'objet d'un échange passent dans l'ordre marchand. La contestation de l'économie de marché, qui est elle-même un marché florissant, semble paradoxalement la renforcer. Les prévisions de Polanyi (ré-encastrement des processus marchands dans des processus politiques) ou de Schumpeter (l'extinction des entrepreneurs) ou de Marx (la baisse tendancielle des taux de profits) n'ont globalement pas été vérifiées, du moins pas durablement. Il est vrai que, pour les deux dernières références, le progrès technique ne s'est pas ralenti et qu'il est l'occasion de nouvelles opportunités de profit pour les entrepreneurs qui savent faire le lien entre découvertes scientifiques, nouveaux modes de production et nouveaux biens de consommation.
6. L'économie de marché est-elle efficace pour produire des biens et services ?
Si l'on en juge par les diverses expériences du siècle dernier (les différences existant entre la RFA et la RDA, entre la Corée du Sud et la Corée du Nord…), c'est très probable.
7. L'économie de marché est-elle juste ?
La première réponse est que l'économie de marché est le seul système qui ait effectivement démocratisé l'accès à la richesse matérielle. Certes, le progrès technique en a été la cause principale, mais il a effectivement été transformé en accès aux biens et services matériels pour le plus grand nombre – malgré les doutes de Smith et les certitudes de Marx. Il est vrai qu'il s'est lui même transformé (institutionnalisé) pour y arriver, mais c'est une preuve de sa plasticité.
Le cœur de l'économie de marché est constitué par les incitations. Or, celles-ci conditionnent la répartition des revenus. De ce fait, les revenus issus du marché doivent être respectés. C'est une chose régulièrement discutée que celle de savoir à partir de quel niveau de revenu la fiscalité peut être légitimement confiscatoire (qu'on se souvienne de Fouquet). C'est une chose rarement observée que l'incitation traverse toute la société et produit une impulsion difficile à générer autrement. Qu'on en juge avec cette formule de Schumpeter (1979, p. 104), même si c'est tout le texte qu'il faudrait lire : "Des gains impressionnants, bien plus élevés qu'il n'aurait été nécessaire pour provoquer tel ou tel effort spécifique, sont jetés en pâture à une faible minorité de gagnants et, du même coup, impriment une impulsion beaucoup plus puissante que ne l'aurait fait une répartition plus égalitaire et plus "juste" à l'activité de la grande majorité des hommes d'affaires qui en retour de leurs initiatives, ne reçoivent qu'une rémunération très modeste, sinon rien ou moins que rien, mais qui, néanmoins s'évertuent au maximum parce qu'ils ont les yeux constamment fixés sur les gros lots et surestiment leurs chances de réussir aussi bien que les gros gagnants".