Mécanismes et concepts de base
Bancarisation : (voir monétarisation)
Commerce captif/imposé : Au cours du 19ème siècle, les pays européens vont inonder les marchés des futurs pays en développement, qu’il s’agisse de colonies ou de pays indépendants, ce commerce captif (entre les colonies et leur métropole) ou commerce forcé pour les autres se traduit par l’impossibilité pour ces pays de stopper les flux d’importations en provenance des pays industrialisés. Les producteurs locaux ne pouvant résister à cette concurrence, on va assister à une désindustrialisation des pays qui disposaient, comme la Chine et l’Inde notamment, d’une base industrielle.
Le commerce des métropoles avec leurs colonies est dit captif car la règle définie par la métropole était le libre accès dans les colonies de tous ses produits, à quelques exceptions près mais alors avec de faibles droits de douane. Le plus souvent les métropoles se réservaient les marchés dans leurs colonies ou mettaient en place des moyens de privilégier leurs produits face à la concurrence internationale.
Dans les pays en développement indépendants (majeure partie de l’Amérique latine, la Chine, la Thaïlande, et l’ensemble du Moyen-Orient) les pays industrialisés vont faire pression sur les autorités pour que la réglementation douanière leur soit favorable. Ce commerce imposé a donné lieu à la signature de traités inégaux entre 1810 et 1820, principalement à l’initiative du Royaume-Uni. Ainsi dans de nombreux pays, les biens industriels en provenance des pays européens étaient libre de droits ou à un taux n’excédant pas 5 %. Ces pressions sont parfois allées très loin quand les gouvernements locaux étaient récalcitrants. Les guerres de l’opium entre 1839 et 1842 visaient à contraindre les autorités chinoises à ouvrir leurs frontières aux produits britanniques. Cette stratégie aboutit au traité de Nankin en 1942 et par la suite la Chine abandonna totalement son indépendance tarifaire et ce fut même un britannique qui occupa le poste d’Inspecteur général des douanes de 1863 à 1908.
Croissance économique moderne : « La croissance économique irréversible et cumulative, dont la révolution agricole, puis la révolution industrielle du XVIIIème siècle en Grande-Bretagne marquent le point de départ, constitue bien en tout cas l’originalité essentielle des deux derniers siècles » (Jean-Charles Asselain, 1985). Cette « croissance économique moderne » bien décrite par l’économiste Simon Kuznets dans les années 1950 présente un certain nombre de particularités qui marquent une rupture par rapport au passé. Tout d’abord elle se distingue par son caractère global et cumulatif. Bien que la hausse de la production s’amorce, grâce au machinisme, dans un nombre restreint d’industries modernes, elle fait suite, tout en les renforçant, aux gains de productivité réalisés dans l’agriculture, mais elle joue ensuite un effet d’entraînement à tous les autres secteurs économiques. Cette croissance soutenue a pour conséquence un accroissement durable de la population et de la production totale, ainsi que de la productivité par travailleur et du revenu par habitant. Elle est source de changements structurels rapides et profonds. Bien que les conditions de cette croissance économique moderne soient à rechercher dans les siècles précédents, celle-ci ne démarre qu’à la fin du 18ème (vers 1770-1780 en Grande-Bretagne principalement).
Désindustrialisation : En 1974, le secteur industriel est en termes d’emplois à son apogée dans les pays développés. Depuis, le nombre de travailleurs et la part des actifs dans le secteur secondaire n’ont cessé de diminuer, sans toutefois que la production industrielle n’ait diminué en dehors des courtes périodes de récession. Depuis la crise de 2008, la baisse de la production industrielle dans de nombreux pays est devenue une réalité plus tangible.
Même si le poids du secteur industriel a continué de progresser jusqu’à la fin des années 1960, certains secteurs industriels emblématiques accusent une baisse de la production et des pertes d’emplois suite notamment à la fermeture de sites de production dès les années d’après-guerre. C’est le cas notamment de l’industrie textile. Le déclin important entamé au Royaume-Uni dès l’entre-deux guerre va toucher pratiquement tous les pays développés occidentaux à partir des années 1950. La baisse du nombre d’emplois va s’aggraver dans les années 1960, en particulier dans les pays précocement industrialisés comme la France. A partir du milieu des années 1960, le même phénomène touche la sidérurgie et l’électronique de la première génération. Puis dans les décennies suivantes, ce sera le cas du secteur minier, des biens de consommations industriels à faible valeur ajoutée et, depuis la fin du 20ème siècle, le secteur automobile, des produits électroménagers et même des machines-outils.
Avec la fermeture des sites industriels dans les anciens pays industrialisés, on assiste à un redéploiement de la production industrielle au profit des nouveaux pays industrialisés. L’emploi industriel qui représentait, en 1970, 28 % de la population active dans les pays développés ne pèsera plus que 20 % au milieu des années 1990. En France où la situation est intermédiaire entre des pays où l’industrie pèse encore un poids important, l’Allemagne et le Japon, et des pays qui ont toujours été moins industrialisés comme l’Espagne, l’emploi industriel ne pèse plus que 12 % de la population active aujourd’hui. En pourcentage du PIB, la part de la valeur ajoutée industrielle a également fortement chuté, en particulier ces deux dernières décennies. La production industrielle (hors construction) ne représente plus que 10 % du PIB en France et au Royaume-Uni, soit deux fois moins qu’en Allemagne mais à peine 2 points de pourcentage de moins qu’aux Etats-Unis.
Il convient de relativiser toutefois cette désindustrialisation : tout d’abord elle ne s’est pas traduite par une baisse de la production industrielle en valeur absolue, exceptés pour certains pays depuis la crise de 2008, ensuite, en termes d’emplois, une partie des emplois qui étaient autrefois comptabilisés dans le secteur secondaire est désormais intégrée au secteur tertiaire en raison de l’externalisation de nombreuses activités de services par les entreprises industrielles. Enfin, il est important de faire remarquer que cette désindustrialisation est sans commune mesure avec celle qui marqua un certain nombre de PED au 19ème siècle (Inde et Chine) en conséquence de la colonisation et de la concurrence (imposée) des produits européens.
Destruction créatrice : Concept développé par J.A. Schumpeter qui désigne le processus de mutation industrielle qui révolutionne incessamment de l’intérieur (facteur endogène) la structure économique. La création et le développement de nouveaux produits ou méthodes supplantent et détruisent les vieilles industries ou méthodes de production. Pour cet auteur, le système capitaliste est par nature une méthode de transformation économique. Ce processus permanent d’évolution inhérent au capitalisme est provoqué par les innovations qui constituent l’impulsion fondamentale des changements économiques. Ces dernières ne résultent que marginalement de l’évolution du cadre social et naturel, de la hausse de la population ou du capital ou encore des mouvements du système monétaire.
Détérioration des termes de l’échange : Pour une définition des « termes de l’échange » voir le chapitre « La dynamique de la mondialisation économique » réalisé par Laurent Braquet.
En 1950, l’économiste Raul Prebisch développe une théorie énonçant que les pays en développement exportateurs de produits agricoles (principalement de « produits tropicaux ») étaient confrontés à une détérioration des termes de l’échange (les prix des produits manufacturés importés par les PED augmentaient comparativement aux prix des produits agricoles qu’ils exportent). Sa thèse s’appuyait sur une étude centrée sur les prix des biens échangés avec le Royaume-Uni entre 1876/1880 et 1936/1938. La méthodologie de cette étude posant un certain nombre de problèmes, de nombreuses études plus complètes ont été réalisées depuis. Les résultats de ces travaux infirment la thèse de Prebisch : les termes de l’échange se seraient améliorés au cours de cette période. En revanche, cette détérioration des termes de l’échange est bien constatée dans les années 1950 et les années 1980, mais on ne peut parler alors de tendance historique. Cette thèse garde cependant tout son sens aujourd’hui puisque la progression de la demande de ces produits tend à être moins forte que celle des produits manufacturés, conformément, en quelque sorte, à la loi d’Engel.
La détérioration des termes de l’échange constatée à certaines périodes provoque des difficultés majeures pour certains pays en développement qui ont une spécialisation commerciale très forte. Par exemple en 1960 les exportations de cacao représentaient 65 % des exportations du Ghana et celles de coton 56% du Soudan. Ces pays vont subir dans les années 1950 et 1960 une augmentation des prix des biens manufacturés plus importantes que celle des prix des biens qu’ils exportent, puis à partir de 1973 une hausse du prix du pétrole importé.
Déversement des emplois : Cette expression d’Alfred Sauvy dans « La machine et le chômage » en 1980 vise à illustrer l’effet des gains de productivité sur la structure des emplois. L’augmentation de la productivité dans un secteur détruit des emplois mais favorise à long terme la création d’emplois dans d’autres secteurs grâce à la hausse de la consommation (conséquence de la baisse des prix relative et de la hausse des salaires) et de l’investissement (permise par l’accroissement des profits). D’une manière générale l’expression de déversement des emplois est aujourd’hui employée pour désigner le passage historique de la population active depuis la révolution industrielle du secteur primaire vers le secteur secondaire puis vers le secteur tertiaire (économies post-industrielles).
Selon Jean Fourastié (1949), ces secteurs se caractérisent par des gains de productivité aux rythmes différents : rapide pour le secondaire, modéré pour le primaire et quasi-nul pour le tertiaire. Des études plus récentes ont montré que certains domaines du secteur tertiaire – secteur vaste et hétérogène – connaissaient des taux de croissance de la productivité élevés ces dernières années grâce notamment au développement des NTIC. Il en est ainsi du secteur des transports et de la logistique, de la grande distribution ou de certains services aux entreprises et aux ménages.
L’évolution de la demande en fonction du niveau de vie et les rythmes différents de gains de productivité permettent de comprendre la dynamique des emplois au cours du 19ème siècle. Le déclin continu du secteur primaire s’accompagne d’une progression importante des secteurs secondaire et tertiaire. Mais tandis que le secteur secondaire atteindra son apogée vers 1965 (38 % des actifs dans les pays développés hors Japon en 1970), le secteur tertiaire continuera de gonfler et dépassera même le poids du secondaire dès le milieu du 20ème siècle. La différence avec l’ère préindustrielle est flagrante. Dans les sociétés traditionnelles, l’agriculture représentait 75 % des actifs, tandis que les deux autres secteurs comptaient chacun pour 8 à 12 %.
Etat providence : voir chapitre « Déséquilibre, régulation et action publique. Les politiques sociales. » réalisé par Fatima AIT-SAID.
Firme intégrée : Le concept de « firme intégrée » renvoie avant tout au modèle de la firme verticalement intégrée, c’est-à-dire à une firme qui produit, autant que faire se peut, les différentes étapes de son produit ou service en interne, avec ses propres capitaux et salariés. L’objectif est de maitriser le processus de production afin de contrôler la qualité et les coûts. Mais, au sens large, il est possible de considérer que les conglomérats qui sont de vastes firmes structurées autour de filiales aux activités très différentes constituent une autre forme de firme intégrée.
Fordisme : Le fordisme désigne parfois chez certains auteurs les innovations introduites par Ford dans ses usines pour accroître la productivité, perfectionnant ainsi davantage l’organisation scientifique du travail développée par FW Taylor. Cependant, ce concept ou encore l’expression « régime fordiste de croissance » a été développée par les économistes de la régulation (M. Aglietta, R. Boyer...) pour caractériser la forte et durable croissance économique d'après-guerre et les raisons économiques et sociales qui l’ont rendues possible. Au cours de cette période (les « Trente glorieuses »), le développement de l'organisation du travail tayloro-fordiste dans l’industrie puis les services va permettre des gains de productivité régulier qui vont donner lieu à une augmentation équilibrée des salaires (et donc de la consommation) et des profits (et donc de l'investissement). Cette période constitue l'émergence de l’ère de la consommation de masse associée à la production de masse. Le taylorisme avait seulement permis la production de masse, Taylor cherchait en effet les débouchés en dehors du monde ouvrier. Même si les salaires étaient en moyenne plus élevés dans les industries qui avaient mis en place ses méthodes de production, ceux-ci restaient généralement beaucoup trop bas pour offrir les débouchés nécessaires à l'augmentation croissante de la production. La hausse régulière des salaires à partir de 1945 en Europe (dès la seconde guerre mondiale aux États-Unis) va résoudre ce problème de surproduction survenue lors de la crise des années 1930. Cet équilibre dans la répartition des gains de productivité va se rompre à la fin des années 60 et au début des années 70, lorsque la croissance de la productivité va ralentir et que les salaires vont pourtant continuer de croître au rythme des décennies précédentes.
Loi d’Engel : L’économiste et statisticien allemand Ernst Engel (à ne pas confondre avec F. Engels) met en évidence au 19ème siècle le phénomène suivant concernant l’évolution de la structure de la consommation : la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages tend à se réduire quand leurs revenus augmentent. Ainsi la consommation alimentaire qui accaparait la quasi-totalité du budget des ménages avant la révolution industrielle ne représente plus dans les pays développés que 12 à 20 % des dépenses de consommation. Pour bien considérer l’évolution de la structure de la consommation, il convient de ne pas oublier qu’au 18ème siècle et jusqu’à la seconde moitié du 19ème siècle, l’autoconsommation représentait la majeure partie des biens et services consommés.
Monétarisation des économies : Avec le développement des échanges commerciaux et des différentes formes de crédits, la monnaie va occuper une place croissance dans la vie économique. Selon Paul Bairoch (1997) quatre facteurs expliquent principalement cela : l’expansion du mode de vie urbain, l’évolution de la production agricole et la spécialisation croissante des travailleurs, l’augmentation du niveau de vie et la modification des systèmes de distribution. La croissance de la masse monétaire permet de se faire une idée de la monétarisation des économies, ainsi entre 1850 et 1913 la monnaie fiduciaire et divisionnaire aurait été multipliée par 15 environ dans les pays développés. Celle-ci s’est accompagnée d’un accroissement de la vitesse de circulation de la monnaie.
L’importance prise par la monnaie va aussi se traduire par un développement des banques et la formation progressive d’un système bancaire moderne. Dans la société traditionnelle européenne, le système bancaire était pratiquement absent du monde rural. La collecte massive des dépôts n’était pas une activité pratiquée par les banques, aussi ne jouaient-elles qu’un rôle pour les grands marchands, les classes aisées ou l’Etat. Avec le développement industriel et l’augmentation des niveaux de vie, de nouveaux types de banques vont émerger. Celles-ci vont réorienter leurs activités vers le soutien aux activités économiques, notamment à long terme. Le nombre de déposants et d’emprunteurs va alors considérablement augmenter. Pour autant, cette évolution sera relativement lente et le rôle des banques dans la vie quotidienne des acteurs économiques (phénomène de bancarisation de la vie économique) ne va vraiment devenir central qu’à une période récente. Jusqu’aux années 1960-1970, rares étaient les ménages appartenant à la classe ouvrière voire même à la classe moyenne qui utilisaient les services d’une banque, même s’il existe des disparités selon les pays, alors que le nombre de compte ouvert dans les caisses d’épargne était très important.
Organisation tayloro-fordiste : Cette expression désigne l’organisation du travail qui fut développé dans l’industrie puis les services dès l’entre-deux guerres et après la seconde guerre mondiale. Elle est symbolisée par l’image du travail à la chaîne et repose sur les travaux de l’ingénieur américain F.W Taylor entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle mais également les améliorations apportées par l’industriel H. Ford.
L’organisation scientifique du travail (OST) élaboré par FW Taylor repose sur trois principes essentiels :
- - Une division verticale du travail, il s'agit d'une séparation entre le travail d'organisation de la production (les cols blancs et, notamment, les ingénieurs réunis au sein du bureau des méthodes) et le travail d'exécution (les cols bleus, c'est-à-dire les ouvriers spécialisés).
- - Une division horizontale du travail qui consiste en une segmentation en tâches simples et répétitives de la production qui peut être effectuée par des ouvriers sans qualification. Les ouvriers exécutent le travail imposé par le bureau des méthodes. Il ne dispose d'aucune initiative, les gestes mêmes sont imposés (les ingénieurs tentants de rechercher la façon de faire la plus rapide possible : la « one best way ») et les tâches sont chronométrées sous la surveillance d'un contremaître.
- - Une rémunération en fonction de la production réalisée afin de motiver les ouvriers (le salaire aux pièces).
- H. Ford va intégrer les principes du taylorisme dans ses usines de production automobile en y ajoutant trois innovations :
- - la chaîne de montage (le convoyage) qui marque le début de ce que l'on a l'habitude de nommer « le travail à la chaîne » ;
- - la standardisation des pièces, des outils et des produits réalisés (la première automobile produite à grande échelle sera la Ford T dès 1908) ;
- - l'augmentation des salaires afin de réduire l'absentéisme des ouvriers et de stabiliser la main d'oeuvre malgré des exigences de productivité très forte.
Remarque : certains auteurs préfèrent parler d’organisation tayloriste ou d’organisation fordiste.
Rationalisation des activités sociales : Ce concept de Max Weber est employé par l’auteur pour décrire la dynamique économique, sociale, juridique et politique des sociétés industrielles. Les sociétés occidentales modernes se caractériseraient aux 19ème et 20ème siècles (et encore aujourd’hui) par un processus de rationalisation croissante des activités sociales. Le principe de rationalité (de rationalité en valeur et surtout de rationalité en finalité) tend à régir les différentes sphères d’activité des sociétés modernes en opposition aux habitudes qui gouvernaient les sociétés traditionnelles. En se substituant à la tradition et au sacré, la logique de l’efficacité et du calcul donne naissance à une science rationnelle, positive et empirique, mais aussi à d’autres sortes d’activités ou d’organisations rationnelles. Il en est ainsi de l’entreprise capitaliste avec le développement de méthodes de gestion, de production, de logistique, de commercialisation… qui visent à améliorer l’efficacité de l’organisation afin de minimiser les ressources utilisées et de maximiser le profit.
Solidarité mécanique/solidarité organique : voir chapitre « Déséquilibre, régulation et action publique. Les politiques sociales. » réalisé par Fatima AIT-SAID
Transition démographique : voir « Economie et sociologie du développement » réalisé par Matthieu Grandclaude