cours de Classe Préparatoire

5. Les transformations des structures économiques, sociales et démographiques depuis le XIXème

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Dossier corrigé

Sujet : L’évolution de la production industrielle dans les pays avancés depuis le début du XIXème siècle.

La Chine, atelier du monde. Voilà semble-t-il où est réalisée la production industrielle de nos jours. Pendant que les usines chinoises tournent à plein régime, les usines ferment en Europe ou aux Etats-Unis et l’industrie des pays avancés, à de rares exceptions près, ne serait que l’ombre d’elle-même. Ce « déclin industriel » n’est en réalité pas enfant de ce nouveau siècle et de la montée en puissance des pays émergents. Des économistes et des sociologues tels qu’Alain Touraine parlaient déjà de sociétés post-industrielles au début des années 1980. Pourtant, paradoxalement, les grandes firmes multinationales (FMN) industrielles des pays occidentaux ou du Japon n’ont cessé de croître ; c’est que cette seconde mondialisation n’a pas fait apparaître que des concurrents sur la scène internationale, elle ouvre aussi de nouveaux marchés aux entreprises occidentales confrontées au ralentissement de la demande dans les vieux pays industrialisés. En fait ce paradoxe n’en serait pas un et l’explication en découlerait comme une évidence : les firmes multinationales (FMN) sont aujourd’hui des firmes transnationales (FTN) sans attache territoriale véritable. Leur développement industriel ne se ferait pas dans les pays avancés mais dans ces nouveaux pays industrialisés (NPI) qui offrent deux avantages incontestables par rapport aux vieilles nations industrielles, celui d’une main d’œuvre bon marché et abondante et celui d’une demande locale en forte croissance.

Le tableau est-il si sombre pour l’industrie des pays riches ? La production industrielle dans ces pays est-elle condamnée à se réduire à peau de chagrin ou a-t-elle encore un avenir ? En prenant un peu de recul historique et en étudiant plus sereinement les données actuelles, le bilan est bien moins inquiétant qu’il n’y paraît. La domination industrielle des pays que l’on appelle pays avancés ou pays développés et qui ne sont autres que les pays qui se sont industrialisés ou qui ont amorcé leur industrialisation dès le 19ème siècle, à savoir l’Europe (Russie comprise), l’Amérique du nord, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, fut exceptionnelle et presque insolente en creusant des écarts de niveaux de vie avec le reste du monde inconnus jusqu’alors dans l’histoire de l’humanité. Le récent resserrement des niveaux de production par habitant entre les pays en développement (PED) et les pays avancés est la conséquence positive d’un rattrapage industriel tardif des PED et la baisse de la production industrielle des pays riches est à relativiser quand on se rappelle que la population de ces pays ne représente pas plus de 15 % de la population mondiale. Et puis il est important de souligner que tous les pays développés ne sont pas confrontés avec la même intensité à la désindustrialisation et les raisons sont parfois à rechercher dans le passé industriel ou dans les capacités d’adaptation des pays ou des firmes concernés.

A la lumière de certains éléments de l’histoire industrielle des pays avancés au cours des deux derniers siècles, nous tenterons d’établir un diagnostic sur l’état de leur industrie. Autrement dit, nous nous demanderons comment l’évolution de la production industrielle depuis le début du 19ème siècle peut-elle permettre de mieux analyser la situation industrielle des pays avancés aujourd’hui ? Ce travail implique une radiographie à la fois quantitative et qualitative de leur histoire industrielle. Nous verrons en premier lieu les données chiffrées qui nous permettrons de constater que les économies post-industrielles demeurent de grandes nations industrielles, puis en second lieu nous verrons que les acteurs industriels de ces pays ont et continuent de s’adapter à des difficultés et des enjeux qui n’ont cessé d’évoluer au cours du temps.

 

I-          Les économies post-industrielles demeurent de grandes nations industrielles

Même si les pays avancés ne dominent plus la production industrielle mondiale, ils continuent d’être des producteurs de premier plan. Nous verrons tous d’abord que leur domination a été jusqu’à une période récente presque sans partage depuis la révolution industrielle, puis nous aborderons la question de la désindustrialisation qu’il convient de relativiser et enfin nous montrerons que ces pays conservent encore un avantage industriel fort même si celui-ci tant à être moins hégémonique.

A-        Deux siècles de domination industrielle depuis la fin du 18ème siècle : une « anomalie » historique

Ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la révolution industrielle a débuté à la fin du 18ème siècle en Grande-Bretagne. A partir des années 1770-1780, les innovations vont se succéder dans ce pays a un rythme inconnu jusqu’alors. Ces évolutions techniques vont concerner un petit nombre de branches : le textile (ex : l’invention de la Spinning Jenny de Hargreaves, la Waterframe d’Arkwright, la mule des Crompton…), la métallurgie (ex : la substitution du coke au charbon de bois pour la fabrication de la fonte, le procédé de puddlage qui permet de transformer la fonte en fer…) et le nouveau secteur des machines à vapeur (ex : la machine de Watt et ses nombreux perfectionnements…). Cette succession ininterrompue d’inventions industrielles ne saurait être tenue pour fortuite selon l’historien économique Jean-Charles Asselain (Histoire économique de la révolution industrielle à la première guerre mondiale, 1985) puisque « inventions et innovations s’enchaînent et s’entraînent les unes les autres ». Le mécanisme de diffusion interbranches joue à la fois de façon verticale (diffusion au sein d’une même branche) et latérale (dans d’autres branches par emprunt et imitation). Point de départ de la révolution industrielle, l’industrie britannique domine de façon nette pendant un siècle (1770-1870), la révolution industrielle s’étant élargie entre-temps à un nombre croissant mais restreint de pays. Selon l’historien Paul Bairoch (Victoires et déboires, 1997), seulement quatre pays connaissaient après les guerres napoléoniennes (1815) une intensification des activités industrielles : la France, la Belgique, la Suisse et les Etats-Unis. Au milieu du 19ème siècle, d’autres pays vont s’industrialiser, en particulier l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, l’Italie, l’Espagne et un certain nombre de pays de peuplement européen. Si bien que dans les années 1870, tous les pays qui vont constituer les pays développés jusque dans les années 1970 sont déjà fortement industrialisés ou ont largement entamé leur industrialisation. Seuls Le Japon et la Russie vont venir s’ajouter à cette liste au cours des dernières décennies du 19ème siècle. Comme le fait remarquer J-C. Asselain, « la diffusion de la croissance moderne semble ainsi s’effectuer selon deux voies privilégiées : la proximité géographique (de la Grande-Bretagne vers l’Europe occidentale et centrale, puis le reste du continent), et l’appartenance à une même aire culturelle, en l’occurrence le monde anglo-saxon alors en pleine expansion (de la Grande-Bretagne vers les Etats-Unis et les dominions) ». Seule exception : le Japon.

La production industrielle des futurs pays développés va presque doubler entre 1800 et 1860 (P. Bairoch, 1997) et l’avance de l’économie britannique est nette pendant plusieurs décennies, semblant même s’accentuer jusqu’au milieu du 19ème siècle. Vers le milieu du 18ème siècle, le Royaume-Uni, dans ses frontières d’aujourd’hui, représentait moins de 2 % de la production industrielle mondiale alors qu’il pèsera pour environ 23 % vers 1880. La prédominance de l’industrie britannique dans les secteurs de la 1ère révolution industrielle est encore plus flagrante. Aux environs de 1860, le pays réalise la moitié environ de la production mondiale de fil de coton, de fonte et de fer. Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle et jusqu’à il y a peu, les Etats-Unis vont prendre la tête de la production industrielle mondiale. A l’apogée de leurs puissances, des années 1950 aux années 1970, les pays avancés réalisent 90% de la production industrielle mondiale avec un nombre d’habitants qui ne pèse pas plus d’1/4 de la population mondiale.

Cette domination semble une incongruité historique, une situation exceptionnelle qui ne pouvait être que provisoire : comment imaginer que les ¾ de la planète ne parviennent pas à imiter, ne serait-ce que partiellement, le modèle des pays avancés ? D’autant qu’il est, théoriquement du moins, plus facile pour un pays de s’industrialiser rapidement quand il peut bénéficier des techniques développées par les pays les plus avancés que pour des pays à la frontière technologique de maintenir une croissance de la productivité élevée. C’est à cette difficulté que vont être confrontés les pays avancés dès le début des années 1970.

B- Une désindustrialisation relative depuis les années 1970

En 1974, le secteur industriel est en termes d’emplois à son maximum dans les pays développés. L’emploi industriel qui représentait, en 1970, 28 % de la population active ne pèse plus que 20 % au milieu des années 1990. En France où la situation est intermédiaire entre des pays où l’industrie pèse encore un poids important, l’Allemagne et le Japon, et des pays qui ont toujours été moins industrialisés comme l’Espagne, seuls 12 % des actifs sont employés dans l’industrie aujourd’hui. En pourcentage du PIB, la part de la valeur ajoutée industrielle a également fortement chuté, en particulier ces deux dernières décennies. La production industrielle (hors construction) ne représente plus que 10 % du PIB en France et au Royaume-Uni, soit deux fois moins qu’en Allemagne mais à peine 2 points de pourcentage de moins qu’aux Etats-Unis. C’est cette baisse du nombre d’emplois industriels et la baisse en pourcentage de la production industrielle rapportée au PIB que l’on résume par le terme de désindustrialisation. Le constat est sans appel, mais il convient pourtant de relativiser le phénomène. Tout d’abord elle ne s’est pas traduite par une baisse de la production industrielle en valeur absolue, exceptés pour certains pays depuis la crise de 2008. En fait ce déclin relatif s’explique par une croissance de la production moins rapide que dans le secteur tertiaire. En valeur, l’écart est encore plus net car les gains de productivité plus élevés dans le secteur secondaire que dans les services, comme l’avait déjà montré Jean Fourastié en 1949, se traduisent par une moindre progression des prix dans l’industrie. Ensuite, en termes d’emplois, une partie de ceux qui étaient autrefois comptabilisés dans le secteur secondaire est désormais intégrée au secteur tertiaire en raison de l’externalisation de nombreuses activités de services par les entreprises industrielles. Enfin, il est important de faire remarquer que cette désindustrialisation est sans commune mesure avec celle qui marqua un certain nombre de PED au 19ème siècle (en Inde et en Chine notamment) en conséquence de la colonisation et de la concurrence (imposée) des produits européens. En 1900, le niveau d’industrialisation par habitant des PED était d’un tiers inférieur au niveau de 1750 et cela malgré un début d’industrialisation dans certains pays d’Amérique Latine au cours du 19ème siècle.

Même s’il convient de nuancer cette évolution, comment expliquer cette désindustrialisation ? Elle résulte de trois facteurs au moins. Premièrement, le ralentissement voire la baisse de la demande en biens d’équipement comme en biens de consommation explique une bonne partie de la moindre progression industrielle. Après trois décennies de rattrapage du taux d’équipement des nord-américains en biens durables par les ménages européens et japonais, les constructeurs de biens électroménagers ou automobiles qui représentaient une part importante des emplois et de la production industriels sont confrontés à une relative saturation du marché. Deuxièmement, et ce point est lié au précédent, la croissance potentielle de ces économies a baissé, à la fois parce que la population des pays avancés ne progresse presque plus, voire diminue aujourd’hui dans certains pays comme le Japon, mais aussi parce que le taux d’investissement n’est plus à un niveau aussi soutenu que dans les décennies d’après-guerre (constat moins flagrant pour les Etats-Unis), en particulier depuis la crise de 2008-2009. Troisièmement, la globalisation financière à partir des années 1980, la baisse des coûts de transport (porte-conteneurs de plus en plus gros) et de communication (grâce aux NTIC), ainsi que l’ouverture de certains PED aux investisseurs étrangers vont inciter les FMN des pays avancés à délocaliser ou à sous-traiter une partie croissante de leur production dans les pays où la main d’œuvre est moins chère.

C- Un avantage industriel qui n’a pas disparu

Dans les PED, le rattrapage industriel a commencé dès les années 1950, mais il s’est accéléré ces trente à quarante dernières années. Vers 1973, la production industrielle des PED représente d’après P. Bairoch (1997) seulement 10% de la production manufacturière mondiale, mais déjà près de 50% de la production de fils de coton et 22% de celle de ciment. Une grande partie de cette production est commanditée par des firmes multinationales. Cette production industrielle demeure encore concentrée dans un nombre limité de pays : l’Inde, la Chine, le Brésil, le Mexique et, à partir des années 1960, les quatre dragons (Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong). Au milieu des années 1970, seuls six pays en développement (le Brésil, le Mexique et les 4 dragons) peuvent être cependant qualifiés de semi-industrialisés, ce qui signifie que des années 1870 aux années 1970, les pays industrialisés sont les mêmes que ceux qui étaient industrialisés un siècle plus tôt ou qui étaient en passe de l’être. Certes, cela ne signifie pas que d’autres pays en développement ne possédaient pas de secteurs industriels, mais le secteur secondaire restait minoritaire par rapport à leur économie et leur production industrielle était marginale à l’échelle de la planète (notamment dans le commerce international). A partir des années 1970-80, d’autres pays vont enclencher ou intensifier leur industrialisation : Malaisie, Thaïlande, Indonésie, Philippines, Turquie...mais surtout la Chine depuis le lancement de ses réformes économiques d’inspirations libérales en 1979. Avec la montée en puissance de ces nouveaux pays industrialisés, la part des pays développés dans la production industrielle va commencer à décroître à partir des années 1970-1980 et cette baisse va s’accélérer à la fin du siècle. Au début des années 2010, la part des pays développés n’est plus « que » de 50% et la Chine est devenue la première puissance industrielle devant les Etats-Unis. La part de l’Europe dans la production industrielle mondiale n’est plus que d’un quart environ, comme la part du continent américain, ce qui correspond en proportion à la situation de 1860.

Etant donné que l’ensemble des pays avancés, Russie et Europe centrale comprises, ne comptent que 1,3 milliards d’habitants environ sur 7,5 milliards d’habitants, il n’est pas illogique que leur production industrielle décline en valeur relative. Ce n’est donc pas à un basculement de la production industrielle des pays avancés vers certains pays émergents auquel nous assistons, mais plutôt à une répartition plus équilibrée de la production industrielle mondiale, même si celle-ci reste à relativiser dans la mesure où ce ne sont que quelques pays d’Asie, avec en premier lieu la Chine, qui sont en mesure de rivaliser avec les anciennes nations industrielles. En approfondissant encore davantage l’analyse, on se rend compte que la domination industrielle des pays développés n’est pas qu’un souvenir même si elle est évidemment beaucoup moins nette qu’il y a cinquante ans. D’une part, la plupart des secteurs industriels sont encore dominés par les FMN des pays développés et même si celles-ci réalisent une bonne partie et même parfois la plus grande part de leur production dans les PED, les centres de décision et de recherche mais aussi une bonne partie des usines n’ont pas été délocalisées. C’est encore plus vrai de la production des nombreuses PME encore présentes dans le tissu industriel de certains pays avancés. La valeur ajoutée industrielle rapportée au nombre d’habitants montre ainsi que – les Dragons mis à part – les pays les plus industrialisés ne sont que des anciennes nations industrielles. Selon une étude du Global Competitiveness report réalisé en 2011/2012, la production industrielle annuelle par habitant des pays d’Europe occidentale, d’Amérique du nord et du Japon dépassait 4000 $ (4500 en France, 6000 aux Etats-Unis, 8600 au Japon et même 12400 en Suisse) alors qu’elle ne dépassait pas 1500 $ en Chine et 200 $ en Inde.

La domination des pays avancés au cours des deux siècles précédents semble une anomalie historique au regard des travaux d’Angus Maddison qui montrent ainsi que, jusqu’au début du 19ème siècle, la majeure partie de la production mondiale est réalisée en Asie où la population, et donc la main d’œuvre, est la plus nombreuse. Grâce à la révolution industrielle et les formidables gains de productivité qui l’ont accompagnée, la production en Occident a cru à un rythme beaucoup plus rapide que dans les autres régions du monde. Mais dans la mesure où, aujourd’hui, certains des pays en développement parmi les plus peuplés parviennent à transformer en atouts certaines de leurs faiblesses comme le niveau bas des salaires et que les investissements qu’ils soient étrangers ou locaux augmentent le stock de capital, il paraît logique que leur production industrielle dépasse désormais celle des pays riches. Pourtant cela ne signifie nullement que l’industrie n’a plus d’avenir dans ces pays. La question de la désindustrialisation, toute relative nous l’avons vu, qui a parfois pour conséquences des fermetures d’usines ou des délocalisations, cache aussi la persistance d’un avantage industriel qui est le fruit d’anciens atouts et d’une adaptation continue du tissu industriel. A cet égard les cas de l’Allemagne et du Japon sont emblématiques puisque ces pays confrontés à une baisse de leur population parviennent à conserver une industrie compétitive. Quelles ont été les évolutions qui ont permis aux pays avancés de se maintenir dans la compétition internationale ?

  

II-         Une industrie qui n’a eu de cesse de s’adapter

L’industrie des pays avancés a su plus ou moins bien s’adapter au nouveau contexte concurrentiel apparu à la fin du 20ème siècle avec le ralentissement de la croissance et la concurrence des pays émergents. Les pays qui s’en sortent le mieux sont souvent ceux qui disposaient d’entreprises qui ont pu et su se spécialiser dans une production à haute valeur ajoutée en s’appuyant sur des atouts souvent nés au 19ème ou au début du 20ème siècle. Nous verrons tout d’abord les caractéristiques de cette spécialisation basée sur les industries de biens d’équipement et de consommation durables, puis celle qui est orientée vers le haut de gamme, la qualité ou encore l’innovation. Outre la nature des produits, nous aborderons enfin la manière dont les firmes industrielles ont su faire évoluer leur organisation et leur management pour résister à la concurrence.

A - L’avantage des industries techniques de biens d’équipement ou de consommation durables

Depuis la première révolution industrielle, le tissu industriel des pays aujourd’hui développé n’a cessé de se renouveler ou de s’enrichir, modifiant par la même la hiérarchie des puissances industrielles. Jusqu’aux années 1860-1870, la révolution industrielle traduit surtout une augmentation de la production industrielle de secteurs manufacturiers traditionnels tels que le textile et la métallurgie. Bien sûr, le machinisme et l’utilisation croissante du coton ont transformé ces produits, mais peu de produits nouveaux ont été mis sur le marché. Avec une exception non négligeable dans le secteur des transports : grâce à l’emploi de la machine à vapeur, le chemin de fer va se développer dès les années 1830. Avec la seconde révolution industrielle, on assiste à une modification qualitative de la production. De nouveaux produits industriels et donc de nouveaux secteurs font leur apparition. Dans la sidérurgie on passe de la fonte et du fer à l’acier, une industrie chimique moderne se développe avec la mise au point de colorants artificiels, de médicaments, de plastiques ou de fibres artificielles. Beaucoup de procédés de fabrication nouveaux sont également développés dans les secteurs traditionnels. L’invention puis l’amélioration du moteur à explosion dans les années 1880, ainsi que l’élaboration par Thomas Edison de la 1ère ampoule incandescente en 1879 puis de la 1ère centrale électrique en 1882 vont transformer les techniques de production et donner naissance à de nouveaux produits de consommation. Dans ces nouvelles industries lourdes, les Etats-Unis et l’Allemagne vont prendre un avantage. Des entreprises ont su rapidement exceller dans ce domaine (ex : General Electric, Carnegie, Standard Oil, DuPont de Nemours, McCormick… aux Etats-Unis ; Siemens, Krupp, Thyssen, BASF… en Allemagne) et s’imposer comme les leaders mondiaux dans leurs secteurs, mais les stratégies commerciales des Etats ont été une aide précieuse pour dépasser le Royaume-Uni qui dans les années 1860-70 avait un temps d’avance dans ces nouvelles industries. Le protectionnisme éducateur cher à Friedrich List a permis aux entreprises allemandes de se développer à l’abri de la concurrence pendant que les Etats-Unis pratiquaient une politique similaire.

Au cours de cette période qui voit la production industrielle des Etats-Unis passer devant celle du Royaume-Uni dans les années 1860-1870 et celle de l’Allemagne atteindre le même niveau à la veille de la 1ère guerre mondiale avant de la dépasser, ce sont surtout de nouveaux biens de production qui sont mis sur le marché. Les nouveaux biens de consommation élaborés avant la 1ère guerre mondiale ne vont se développer qu’après la guerre, hormis aux Etats-Unis où ceux-ci connaissent un essor dès le début du 20ème siècle à l’image de la Ford T qui est mise en vente dès 1908. Le phonographe, le ventilateur, la machine à laver, la radio et même le réfrigérateur commenceront à équiper les foyers des ménages américains et, dans une moindre mesure, européens durant l’entre-deux guerres. Au 19ème siècle, l’augmentation de la production manufacturée de consommation avait surtout concernée des produits qui existaient pour la plupart avant la révolution industrielle, comme les vêtements et les chaussures, tandis que les années 1920 et 1930 sont marquées par le développement d’une industrie de biens de consommation nouveaux. Certaines productions vont connaître une croissance fulgurante. Alors qu’en 1914, il n’y avait que 2,2 millions d’automobiles en circulation dans le monde (dont plus de 80 % aux Etats-Unis), il y en a presque 50 millions à la veille de la seconde guerre mondiale. La radio va très rapidement se diffuser. En une quinzaine d’années, plus d’un foyer sur deux s’équipera d’un poste de radio entre le milieu des années 1920 et la fin des années 1930. Aux Etats-Unis où l’avance en la matière est importante par rapport à l’Europe, près d’un ménage sur 4 possède une machine à laver en 1939 et 80 % ont un réfrigérateur en 1950. Après la guerre, ces industries de biens durables de consommation vont connaître une forte croissance grâce notamment à la généralisation de l’organisation du travail tayloro-fordiste. Le taux d’équipement des ménages en produits électroménager ou en automobile va croître rapidement en Europe. Au cours de cette période, les gains de productivité industriels seront en Europe, au Japon et dans une moindre mesure aux Etats-Unis très élevés, ils seront en moyenne de 3,4 % par an entre 1950 et 1980.

Quel enseignement pouvons-nous tirer de cette évolution à la lumière de la situation de ces pays aujourd’hui ? Il semble que les avantages pris il y a longtemps par les pays développés et, notamment les Etats-Unis, l’Allemagne puis le Japon (et dans une moindre mesure la France, l’Italie, le Royaume-Uni, la Suède, la Belgique et la Suisse), dans les industries de biens d’équipement surtout mais aussi dans les industries de biens de consommation durables demeurent un atout incontestable. Dans ces branches d’activité, le niveau élevé de technologie exige un savoir-faire difficile à acquérir et les investissements sont très coûteux (industries très capitalistiques) par conséquent la structure du marché est souvent oligopolistique. La domination de la plupart de ces firmes va traverser le 20ème siècle alors que les entreprises textiles britanniques, pour ne citer qu’elles, vont vite être concurrencées par les pays moins avancés d’Europe à la fin du 19ème siècle puis par les pays en développement dès le milieu du 20ème siècle. Aujourd’hui encore, les industries de biens d’équipement anciennes nées parfois au 19ème siècle tirent leur épingle du jeu à l’image de General Electric ou de ThyssenKrupp. Même les entreprises les plus récentes s’appuient sur un savoir-faire ancien comme Airbus qui n’existe que depuis 1971 mais qui repose sur une tradition de production aéronautique ancienne en Europe. Toutefois, face à la concurrence de nouveaux pays (la Corée du Sud depuis les années 1980, le Brésil, l’Inde et surtout la Chine), la question de la taille critique est essentielle dans ces domaines où les économies d’échelle sont importantes. Aussi assiste-t-on depuis la fin du 20ème siècle à une concentration industrielle accrue, comme les exemples de rachat de la division énergie d’Alstom par General Electric, de Pechiney par Alcan ou d’Alcatel-Lucent par Nokia pour ne parler que d’entreprises françaises. Si l’on consulte la liste du CAC 40 qui regroupe les 40 plus grosses capitalisations boursières de la place de Paris, nous pouvons constater la forte présence des entreprises de biens d’équipements ou de biens de consommation durables : Total, Airbus, Air Liquide, Schneider Electric, Renault, PSA…

B - La stratégie de montée en gamme et d’innovation

Il n’y a pas que les industries lourdes et complexes qui demeurent des atouts pour les pays avancés, il y a aussi toutes les entreprises de biens de consommation haut de gamme qui s’appuient, comme dans le cas des industries de biens d’équipement, sur un savoir-faire ancien et qui investissent massivement pour garder leur avance ou préserver leur image de marque. C’est le cas bien sûr des entreprises de Luxe comme LVMH ou Kering qui ont su développer une production industrielle à grande échelle tout en jouant sur une identité forgée et entretenue dans le passé. Il en est ainsi de la marque Louis Vuitton du groupe LVMH qui fut créée en 1854 et dont le souci de lutter contre les premières contrefaçons et de se faire reconnaître a été affirmé dès les premières années. Dans le domaine du luxe, les pays avancés savent jouer de leurs réputations de savoir-faire et de raffinement nés à une époque où le niveau de vie dans ces pays était sans commune mesure avec le reste du monde, avec l’existence d’une « classe de loisir » décrite par T. Veblen. Paris, Londres ou Milan sont d’ailleurs devenues des marques pour les industriels du luxe.

Outre l’habillement et les cosmétiques, il y a également de nombreuses autres industries de biens de consommation de luxe ou haut de gamme où les pays avancés excellent. C’est le cas de l’automobile par exemple où les marques comme Mercedes, BMW, Audi, Porsche, Rolls-Royce, Jaguar, Ferrari, Lamborghini, Cadillac, Lincoln, Lexus… connaissent des taux de croissance élevés tout en continuant à produire majoritairement dans les pays d’origine. La stratégie de la montée en gamme est indispensable pour que les firmes puissent faire des marges élevées et ainsi conserver leur avance technologique et communiquer autour de leurs marques. La compétitivité hors-prix permet aux fabricants industriels de s’affranchir de la concurrence des pays émergents qui misent davantage sur la compétitivité prix. A l’inverse, les entreprises qui ne parviennent pas à monter en gamme ou à conserver une avance sur l’industrie des pays émergents sont condamnées à disparaître. C’est toute la difficulté actuelle des constructeurs automobiles français positionnés dans le milieu de gamme. La stratégie est soit la montée en gamme (ex : la stratégie de la DS chez PSA ou la volonté de réintroduire la marque Alpine chez Renault), soit la délocalisation dans les pays avancés où les salaires sont les plus bas  en Europe centrale ou du sud, voire ailleurs comme en Turquie ou dans le Maghreb pour ce qui est du marché européen. Pourtant même pour les producteurs positionnés dans le haut de gamme l’équilibre demeure fragile, comme le montre l’exemple du rachat de Volvo par l’entreprise chinoise Geely en 2010.

Une production à haute valeur ajoutée n’est pas forcément synonyme de haute technologie ou de produits de luxe, mais l’écart entre la valeur ajoutée et les coûts de production peut aussi résulter d’une situation de monopole. Il existe alors deux cas typiques d’entreprises en position de monopole ou de quasi-monopole, le cas des productions de niche ou les cas de monopole temporaire suite à une innovation. Les niches de productions correspondent le plus souvent à des marchés où la production standardisée à grande échelle est impossible car chaque client à un besoin spécifique. Le marché international est souvent trop étroit pour que plusieurs firmes soient présentes alors même que la production exige des compétences et une adaptation rapide de l’outil de production. De nombreuses PME anciennes des pays avancés sont encore présentes dans des niches de production, mais le pays qui dispose du tissu de PME le plus performant dans ce domaine est sans aucun doute l’Allemagne. Le Mittelstand allemand comme on l’appelle est spécialisé pour l’essentiel dans les branches industrielles intensives en recherche et développement (R&D) où l’industrie allemande est très présente: électrotechnique/mécanique de précision, travail des métaux/construction mécanique et automobile, chimie… Ces PME parfois nées à la fin du 19ème siècle pour répondre à des commandes spécifiques des grandes industries naissantes sont aujourd’hui devenues des entreprises dynamiques orientées vers le marché mondial. La stratégie de ces entreprises familiales indépendantes est de miser sur la qualité, le renouvellement des gammes et l’adaptabilité aux besoins des clients.

Une autre manière possible de bénéficier d’une position dominante sur un marché est l’innovation. La destruction-créatrice décrite par J.A. Schumpeter est un phénomène normal des économies capitalistes, mais pour que les industries anciennes qui disparaissent puissent être remplacées par de nouvelles industries, l’investissement dans la recherche et développement (R&D) est indispensable. Les pays avancés et les FMN l’ont compris très tôt. L’emblématique dirigeant de General Motors, A. P. Sloan, a mis en pratique cette stratégie dès les années 1920 en créant des divisions spécifiques au sein de l’entreprise pour préparer le renouvellement des gammes, innover ou communiquer. Après 1945, les Etats eux même vont investir de manière croissante dans la R&D, pour des raisons militaires notamment, mais avec une perméabilité évidente entre la recherche militaire et la recherche pour l’industrie civile comme le montre le conflit entre Boeing et Airbus décrit par les économistes de la politique commerciale stratégique. Dès les années 1980-90, au moment où les théoriciens de la croissance endogène (D. Romer, R. Barro, R. Lucas…) démontrent l’importance des investissements publics pour la croissance, des Etats vont accroître leurs efforts d’investissements dans la R&D. La Suède est un exemple typique de cette stratégie. Il s’agit aujourd’hui d’un des pays qui investit le plus au monde dans la recherche avec des dépenses intérieures en R&D qui oscillent entre 3,5 et 4 % du PIB depuis le début des années 1990. Ce pays de moins de 10 millions d’habitants a, de ce fait, su préserver une industrie florissante dans des domaines variés (automobile, aéronautique, armement, électrotechnique, pharmaceutique, techniques médicales…) qui lui permet de dégager un excédent commercial et il demeure l’un des pays les plus industrialisés au monde en production par habitant.

Si l’innovation est bien une stratégie affirmée par les pays avancés, même si souvent les paroles ne sont pas suivies des actes (exemple de la stratégie de Lisbonne de l’Union européenne), il est important de souligner que, dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), seuls les Etats-Unis et le Japon sont réellement présents. Ce secteur est pourtant celui qui connaît l’un des plus forts taux de croissance ces dernières décennies et certains l’annoncent comme étant au cœur de la troisième révolution industrielle à venir (Jeremy Rifkin). L’Europe n’a pas vraiment su prendre le tournant de la révolution des NTIC alors même que certains pays comme la France possédaient une industrie électronique performante jusque dans les années 1970. Cette faible présence des européens dans l’industrie des NTIC (Nokia, Ericsson, Alcatel... qui ne sont d’ailleurs plus présents dans les biens de consommation grand public après avoir pourtant connu de grands succès au début du 21ème siècle) est aussi vrai dans le software (les logiciels) et les services.

C - De la firme verticalement intégrée au modèle de la production décentralisée ?

La réussite des entreprises industrielles des pays développés ne dépend pas seulement de ce qu’elles produisent mais aussi de la manière dont elles produisent. A cet égard, deux grandes évolutions marquantes sont à noter : la décentralisation de la production des grands groupes industriels et l’adoption d’un management valorisant l’initiative. La mise en exergue de ces deux éléments n’a bien sûr rien d’exhaustive et elle ne doit pas non plus laisser penser que toutes les entreprises industrielles ont adopté les mêmes stratégies. Pourtant ces évolutions ne sont pas anodines. Penchons-nous pour commencer sur la question organisationnelle que nous n’aborderons pas dans tous ses aspects. L’industrialisation du début du 19ème siècle marque en quelque sorte le passage de l’atelier à l’usine, mais on assiste surtout, lors de la première révolution industrielle, à l’émergence de petites entreprises familiales. Les entrepreneurs sont le plus souvent des hommes seuls avec parfois un associé. Certains d’entre eux sont des inventeurs et les capitaux à avancer au départ sont relativement modestes dans l’industrie textile, du moins au tout début du 19ème siècle. Certaines grandes entreprises existent, mais elles sont peu nombreuses et concernent surtout les secteurs miniers ou de la métallurgie. Avec le développement du chemin de fer qui nécessite beaucoup de capitaux et beaucoup de personnel, les entreprises vont prendre une autre dimension. Les sociétés vont alors se développer. Sur le plan organisationnel, les entreprises en charge de l’exploitation de lignes de chemin de fer vont mettre en place une gestion centralisée des effectifs car les salariés sont nombreux et répartis en des lieux différents, alors même qu’ils doivent tous répondre à une même exigence.

A la fin du 19ème siècle le développement de la sidérurgie moderne, de la chimie, de l’électromécanique et de l’électricité vont également nécessiter la mobilisation de capitaux importants et la construction de grandes usines afin de réaliser des économies d’échelle. Les nouvelles entreprises créées lors de cette seconde révolution industrielle seront rapidement plus grandes et mobiliseront davantage de capitaux que lors de la 1ère révolution industrielle. Le statut juridique de ces entreprises diffèrera également : il y aura moins d’entreprises familiales, davantage de sociétés. C’est ainsi que l’on va assister à l’augmentation du nombre de sociétés anonymes par actions. Le phénomène de concentration industrielle connaît une accélération à la fin du 19ème siècle dans les secteurs les plus lourds, là où les économies d’échelle sont les plus importantes. C’est aux Etats-Unis que vont émerger les premiers trusts, qu’ils soient horizontaux ou verticaux. L’adoption d’une loi antitrust, le Sherman Act en 1890, va par la suite modifier les conditions de la concurrence (la Standard Oil sera démantelée par décision de justice en 1911) mais elle n’empêchera pas le phénomène de concentration. En Europe, le phénomène de concentration est moins important, ce qui explique peut-être d’ailleurs qu’aucune législation équivalente au Sherman Act ne sera adoptée. Cependant, le développement des cartels en Allemagne, favorisé par le gouvernement, constitue une exception de taille puisque dans la chimie comme dans la sidérurgie, ces cartels, appelés Konzerns, auront un poids très important. Les Zaïbatsu au Japon constituent également une forme de concentration même si elle n’est ni verticale, ni horizontale. Il s’agit davantage de conglomérats qui englobent des activités financières.

La stratégie d’intégration horizontale qui conduit à la concentration des entreprises va être associée à une stratégie d’intégration verticale. « L’intégration verticale reflète la décision d’une firme d’utiliser des transactions internes, d’ordre administratif, plutôt que des transactions marchandes pour réaliser ses objectifs économiques » (M. Porter, 1982). Dès l’avènement des grandes entreprises industrielles dans la seconde moitié du 19ème siècle et jusque dans les années 1970, les dirigeants de ces entreprises vont chercher à maîtriser les coûts de production et de commercialisation en interne. Pour ce faire, les entreprises vont se constituer sur un modèle verticalement intégré par l’acquisition de leurs activités en amont et en aval. Le développement des techniques de management dès le début du 20ème siècle aux Etats-Unis essentiellement va favoriser l’émergence de ces grosses structures industrielles. Parallèlement à cette évolution, d’immenses conglomérats (entreprises aux activités différentes) vont également faire leur apparition. Certaines entreprises seront à la fois des conglomérats et des groupes verticalement intégrés. Ce sera par exemple le cas des entreprises allemandes Thyssen et Krupp qui, en amont, possèderont des mines de houille et de fer, et, en aval, produiront pour le chemin de fer, des armes, des moteurs, des navires. L’entreprise General Motors qui fut créée en 1908 est un autre exemple d’entreprise qui procède à la fois par intégration verticale (au début de son développement, l’entreprise achète de nombreux fournisseurs) et par diversification (pendant la guerre, l’entreprise se lance dans la construction de tracteurs, mais aussi de produits électroménagers…). Ce modèle de grandes entreprises organisées va continuer à se développer après la seconde guerre mondiale, qu’elles soient détenues par des capitaux privés ou par des capitaux publics (exemple : Renault ou EDF en France) et ce modèle connaîtra son apogée dans les années 1970.

A partir des années 1970-80, les entreprises industrielles sont confrontées à un nouvel environnement concurrentiel qui les poussent à revoir leurs stratégies. Le ralentissement des gains de productivité et les perspectives plus limitées de croissance de la demande dès la fin des années 1960 aux Etats-Unis et le début des années 1970 en Europe commencent par entraîner un nouveau mouvement de concentration industriel. Ce nouveau contexte est marqué aussi par une montée de l’incertitude pour les investisseurs, une virulence croissante de la concurrence pour s’accaparer des parts de marché, un mouvement de globalisation financière qui facilite les IDE et l’arrivée de nouveaux concurrents en provenance d’Asie du sud-est notamment. Les dirigeants des entreprises industrielles cherchent alors une solution pour renforcer les capacités d’adaptation et d’innovation de leurs unités de production. A partir des années 1980 et surtout des années 1990, les entreprises vont alors, comme le disent les dirigeants, se recentrer sur leur cœur de métier et externaliser de plus en plus leurs approvisionnements et la commercialisation de leurs produits. Cette externalisation est favorisée par la croissance des investissements directs à l’étranger (IDE) et elle est à l’origine du développement de la décomposition internationale des processus productifs (DIPP). De grandes firmes verticalement intégrées vont alors se débarrasser des activités considérées comme peu rentables : dans l’automobile, par exemple, en France, Renault et PSA passent désormais de plus en plus par des équipementiers et des prestataires de service. Les conglomérats eux-mêmes sont critiqués pour leurs lourdeurs de gestion et les incohérences. Les firmes se spécialisent dans quelques métiers. C’est le cas de BSN alors présents dans presque tous les métiers de l’agroalimentaire qui devient Danone centré sur deux activités seulement : les yaourts et les eaux minérales.

Quel est l’objectif de cette stratégie ? En passant par le marché plutôt qu’en produisant soi-même et en faisant ainsi jouer la concurrence des fournisseurs pour tirer les coûts vers le bas, les firmes tentent ainsi d’améliorer leur compétitivité-coût afin d’obtenir des marges suffisantes permettant d’investir dans la R&D et le marketing (compétitivité hors-coût) pour conserver ou améliorer leurs positions sur le marché. La spécialisation dans les activités ou les segments de la production où les savoir-faire et les marges sont les plus élevés apparaît pour beaucoup d’entreprises comme la seule stratégie viable pour résister notamment à la montée en puissance de la nouvelle concurrence des PED. La remise en cause du modèle de la firme verticalement intégrée ou du conglomérat qui s’était imposé de la fin du 19ème siècle aux années 1970 ne signe toutefois pas complètement la disparition de ce type d’organisation (ex : General Electric, Mitsubishi, Toshiba…), mais ces firmes aussi vont adopter une stratégie de décentralisation de la production ou de décomposition de la chaîne de valeur afin de profiter des atouts de telles ou telles régions du monde (main d’œuvre à bas coût, proximité des matières premières, compétences et centres de recherche, paradis fiscal…). Il existe en effet différentes manières d’y parvenir : soit en créant des filiales dans les différentes régions du monde (filialisation), soit en passant des contrats avec des sous-traitants, soit en passant par le marché. Les travaux d’Oliver Williamson permettent de comprendre comment la prise en compte de l’environnement et de la spécificité du produit peut conduire les firmes à préférer l’une ou l’autre solution. Le passage par le marché directement pose un problème de qualité, d’imitation, de délais… aux firmes qui ont une marque, une réputation à entretenir. Les firmes préfèrent alors passer des contrats de sous-traitance (exemple d’Apple avec Samsung, LG, Toshiba, Foxconn) ou alors créer des filiales plus ou moins indépendantes (exemple de Faurecia qui est un équipementier dont le capital est détenu majoritairement par PSA).

Parallèlement à ces nouvelles façons d’organiser la production, les firmes des pays avancés vont adopter à partir des années 1980 de nouvelles méthodes de management. Cette problématique de l’organisation de la production au sein des ateliers et entre les différents sites a commencé à prendre de l’ampleur à la fin du 19ème siècle. L’augmentation de la taille des entreprises, la recherche de gains de productivité et le contrôle de la qualité nécessitaient alors de rationaliser la production. Dès 1890, FW Taylor met en application au sein de la Bethlehem Steelson organisation du travail scientifique (OST) qui repose notamment sur une division horizontale et verticale du travail et sur le salaire aux pièces. Les méthodes d'organisation du travail de Taylor enrichies par les apports de Henry Ford vont très rapidement se développer dans l'industrie aux États-Unis puis en Europe de l'Ouest, notamment dans l'industrie automobile. A partir de la fin des années 1960 aux Etats-Unis et dès les années 1970 en Europe, l’organisation tayloro-fordiste atteint ses limites et il devient désormais difficile d’obtenir des gains annuels de productivité aussi soutenus que dans les années 1950-60. Afin d’enrayer le ralentissement des gains de productivité et de surmonter les limites de l’organisation tayloro-fordiste, les entreprises vont intégrer de nombreuses innovations organisationnelles : d’une part, elles vont s’inspirer des méthodes de management des entreprises japonaises et notamment du toyotisme, d’autre part elles vont progressivement automatiser leurs chaînes de production. L’enrichissement des tâches, la polyvalence, la rotation des postes, le travail en équipe, le management participatif… vont accompagner une baisse des emplois manuels peu qualifiés.

La DIPP impose aux firmes de renforcer leurs méthodes de communication et de coordination. Les erreurs et les difficultés dans ces domaines peuvent peser lourd sur le chiffre d’affaires et la réputation des entreprises. Le manque de coordination entre les usines allemandes et françaises lors de la fabrication des premiers Airbus A380 aurait pu être fatal pour l’avenir de cet avion et celui de la firme. Les problèmes de gestion des délais, de qualité ou les boycotts liés aux conditions de travail des fournisseurs dans certains PED ont parfois conduit des industriels à relocaliser leur production. C’est le cas du fabricant de skis Rosssignol qui a rapatrié sa production de Taïwan dans son usine française. Enfin, pour gagner en lisibilité et en efficacité les entreprises, en se développant et en s’étendant à différentes activités, passent d’une organisation fonctionnelle à une organisation divisionnelle (par domaine d’activité) comme Google l’a décidé en 2015 en restructurant ses activités sous le nom d’Alphabet. Mais elles cherchent aussi à maintenir une souplesse suffisante pour conserver une dynamique d’innovations. De nombreuses FMN, notamment dans le secteur des NTIC, achètent des startups innovantes ou créent des petites filiales en ce sens. Elles cherchent à valoriser également l’initiative individuelle et l’autonomie.

Nous avons vu que le bilan de la production industrielle des pays avancés est loin d’être aussi négatif qu’on ne l’entend si souvent. Certes la désindustrialisation qui a débuté dans les années 1970 s’est accentuée depuis la crise de 2008-2009, mais elle est à relativiser car la production industrielle en volume est supérieure dans tous les pays à ce qu’elle était il y a une quarantaine d’années au moment où apparaissaient les premiers signes de la désindustrialisation. En fait, ce sont surtout la forte croissance du secteur tertiaire et les gains de productivité élevés dans l’industrie permis notamment par l’automatisation des chaînes de production qui expliquent le déclin relatif du secteur industriel dans le PIB et la population active.

En prenant du recul, comme les travaux des historiens économiques nous invitent à le faire (F. Braudel, JC Asselain, P. Bairoch, A. Maddison, R. Gordon, T. Piketty…), il est flagrant de constater à quel point la domination industrielle des pays avancés fut écrasante et exceptionnelle pendant deux siècles. Jamais dans l’histoire de l’humanité une minorité d’habitants ne domina économiquement de façon si massive et durable la production mondiale. Cette situation a été possible grâce à l’accumulation du capital des pays aujourd’hui développés décuplant ainsi la productivité du travail qui était resté jusqu’au 18ème siècle le principal facteur de production. L’augmentation rapide des investissements industriels dans certains pays en développement bénéficiant d’une main d’œuvre abondante (Chine, Inde, Brésil…) ces dernières décennies ne pouvait qu’aboutir, de facto, à une répartition plus équilibrée de la production industrielle mondiale et donc à la baisse relative du poids des pays développés dans la production mondiale.

Mais ce nouvel état de fait n’a pas (encore ?) provoqué la disparition du savoir-faire industriel des anciennes nations industrielles. Au contraire, à côté des fermetures d’usines et des délocalisations, certaines entreprises industrielles ont su renforcer leurs spécialisations et leurs atouts. Ce n’est pas le cas, il est vrai, de tous les pays avancés. Les pays qui s’en sortent le mieux (Allemagne, Japon, Etats-Unis, pays scandinaves…) sont aussi ceux qui peuvent s’appuyer sur des atouts industriels anciens contrairement à certains pays d’Europe du sud ou d’Europe centrale (Grèce, Portugal, Biélorussie, Ukraine…) qui se sont industrialisés plus tardivement sans jamais vraiment rattraper leur retard. Pour faire face au ralentissement de la demande dans les pays riches et résister à la concurrence des pays émergents, les industriels et les gouvernements des pays avancés ont été amenés à s’adapter à ce nouvel environnement en misant sur la qualité, le haut de gamme, le degré élevé de technologie intégré ou encore l’innovation. Et là encore ces atouts reposent sur un savoir-faire et des efforts d’investissement en R&D ou dans l’éducation qui sont anciens. Tous les pays avancés ne peuvent s’appuyer sur ce même héritage ou à des degrés variables.

Les FMN ont également fait le choix d’éclater de plus en plus leur production pour bénéficier des avantages économiques de chaque région du monde. Cette stratégie s’accompagne par ailleurs de la création de petites filiales pour favoriser la souplesse et l’innovation qui caractérisent certaines PME industrielles dynamiques. En considérant cette double tendance concernant l’organisation de la production et le management des entreprises, nous pouvons dire, en caricaturant un peu, que l’industrie des pays avancés est passée d’une production décentralisée au début du 19ème siècle avec de nombreuses petites entreprises dans le secteur textile notamment à une production de plus en plus centralisée au sein d’usine géante de la fin du 19ème siècle aux années 1970, pour revenir depuis à une décentralisation de la production : création de filiales indépendantes et externalisation. Cette décentralisation n’est toutefois pas synonyme d’une moindre concentration du capital.

Si l’industrie continue à avoir de l’avenir dans les pays développés, l’avantage comparatif de ces paysdemeure fragile dans le contexte économique et géopolitique actuel. Le vieillissement de la population, le niveau élevé d’endettement public, la montée du vote populiste, la concurrence fiscale et salariale, la faiblesse des fonds structurels européens… sont autant de problèmes qui pèsent sur les pays avancés et qui risquent de creuser encore davantage l’écart entre les pays qui parviendront à conserver une industrie performante sur les marchés internationaux et les autres.

 

Étude de l’institut de l’entreprise

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