Description:

Dossier documentaire et son corrigé

Doc 1 : La querelle des méthodes.

C’est en 1883, à l’occasion de la publication de l’ouvrage Recherches sur la méthode des sciences sociales par l’économiste autrichien Menger qu’éclate « La querelle des méthodes ». Dans un compte-rendu critique, Schmoller, l’un des représentants les plus éminents de l’école historique allemande lui reproche de « distiller les propositions abstraites de l’ancienne dogmatique classique ». En effet, pour Menger, l’économie doit être conçue sur le modèle des sciences de la nature. Elle a pour objectif de déduire à partir de quelques principes simples les lois universelles du fonctionnement de l’économie. Schmoller conteste vigoureusement ce point de vue en s’appuyant sur trois types d’arguments :

d’abord il critique la fiction d’un homo oeconomicus rationnel et fait valoir la complexité des motifs de l’action humaine qui dépendent des croyances ou des valeurs souvent irrationnelles ;

ensuite, il conteste la pertinence de la méthode déductive et préconise de multiplier les études monographiques pour établir de façon inductive les lois du développement économique et social ;

enfin, il met en doute la possibilité d’établir des lois universelles en raison de la complexité et de la singularité de chaque société : l’économie, qui ne peut être séparée de la morale, doit prendre en compte, dans ses explications, d’autres considérations que les seuls facteurs économiques.

« La querelle des méthodes » rencontre un écho en philosophie où l’on s’interroge alors sur le statut des sciences sociales. Dès 1883, Dilthey oppose les sciences de la nature et les sciences de l’esprit à partir de leur objet : « Nous expliquons la nature, mais nous comprenons la vie mentale ». L’année suivante, Windelband reprend la problématique de Dilthey en termes nouveaux. L’opposition entre les sciences de la nature et ce qu’il appelle les « sciences de la culture » ne repose pas sur une différence d’objet mais sur des formes d’intérêt scientifique divergentes : les chercheurs en sciences expérimentales s’intéressent aux aspects invariants des choses, tandis que les spécialistes des sciences de la culture portent leur attention sur des éléments singuliers. Il appartiendra à Rickert de reprendre le problème en 1903 et d’en proposer une solution qui inspirera la position de Weber, comme ce dernier le reconnaîtra. Rickert différencie les sciences de la nature et les sciences de la culture, à la fois en fonction de leurs méthodes et de leur objet. En accord avec Windelband, il considère que les sciences de la nature cherchent à établir des lois générales tandis que les sciences s’appliquent à comprendre des évènements singuliers. Mais, il insiste plus particulièrement sur la spécificité de l’objet d’étude des sciences de la culture : alors que les objets naturels sont sans signification culturelle, les comportements des hommes ne prennent sens que par rapport à un système de valeurs, à une culture. C’est ce rapport aux valeurs qui permet la sélection des faits dans la complexité du réel. Les résultats des recherches en sciences sociales ont alors une validité limitée à ceux qui partagent une même culture sauf à considérer, ce que fait Rickert, que les chercheurs puissent se mettre d’accord sur quelques valeurs universelles. Weber insistera au contraire sur la subjectivité des rapports aux valeurs et l’impossibilité de les concilier.

Henri Mendras et Jean Etienne, Les grands auteurs de la sociologie, Hatier, 1996, p141-142

Questions :

1. Reprendre sous forme de tableau les propositions de Menger en économie et les critiques de Schmoller correspondantes.

2. Expliquez la distinction de Rickert entre sciences de la nature et sciences de la culture.

 

Doc 2 : L’ambition scientifique de la sociologie.

Le sociologue cherche donc à comprendre la société en suivant une discipline scientifique : ce qu’il découvre et note sur les phénomènes sociaux qu’il étudie se situe dans un cadre de référence assez rigoureusement défini. Un des traits de ce cadre est que les opérations s’y déroulent selon certaines règles. Comme scientifique, le sociologue s’efforce d’être objectif, de contrôler ses préférences et ses préjugés personnels, de percevoir clairement plutôt que de juger normativement. Bien entendu, cette contrainte ne touche pas son existence entière, mais se limite à ce qu’il fait en tant que sociologue. Il ne prétend pas non plus que son cadre de référence soit le seul qui permette de considérer la société. D’ailleurs, très peu de savants, toutes disciplines confondues, prétendraient aujourd’hui que le seul regard digne d’être porté sur le monde soit le regard scientifique. Le botaniste qui observe une jonquille n’a aucune raison de disputer au poète le droit de voir le même objet de manière très différente. Il existe des jeux de toutes sortes. Il ne s’agit pas de nier la validité de ceux des autres mais d’être clair sur les règles de son propre jeu.

Peter L.Berger, Invitation à la sociologie, La découverte, 2006

Cité dans A.beitone et alii, Sciences sociales, Aide-mémoire, Sirey, 2012, p14

Question.

1. Quelles sont les caractéristiques de la sociologie comme discipline scientifique ?

 

Doc 3 : La réalité et ce qui est « vu » : l’exemple du sommeil.

Le sociologue transforme le pan de la réalité sur laquelle il travaille grâce au type de lunettes qu’il emprunte, grâce à son questionnement théorique mis en œuvre dans le recueil des données. L’ « objet social » ou « objet réel » devient un « objet sociologique ». Examinons comment le sommeil, comme pratique, peut être construit en plusieurs objets sociologiques. En fonction de son intérêt théorique, et aussi de la demande sociale, le sociologue choisira tel ou tel mode de construction :

• Premièrement, le sommeil peut être appréhendé par ses difficultés, notamment l’insomnie, et les manières de les surmonter. Le sociologue analysera notamment la consommation de somnifères et observera que les différences renvoient d’abord à l’âge (les personnes de plus de quatre-vingts ans en prennent davantage), ensuite au sexe (les femmes étant plus consommatrices), la variation selon le milieu social étant plus réduite. Si on croise ce constat avec le fait que les hommes retraités déclarent comme temps de sommeil presque une heure et demie de plus que les hommes actifs à temps plein, on peut se demander si l’insomnie ne renvoie pas aussi au problème du manque d’activité. Une nouvelle hypothèse peut être formulée : les difficultés du sommeil renverraient tout autant au « jour » qu’à la « nuit », c’est-à-dire à l’angoisse de remplir son emploi du temps. On peut faire l’hypothèse que les « moments critiques » (Anselm Strauss) dans l’existence sont accompagnés par des rêves spécifiques. Par exemple, quels rêves font les personnes qui sont menacées de subir un licenciement collectif, qui déplorent la fermeture de leur entreprise ?

• Deuxièmement, le sommeil peut être analysé dans le cadre d’une sociologie de la socialisation familiale. Pendant la petite enfance, il peut y avoir le rituel de l’histoire lue avant d’éteindre, la préparation des conditions de l’endormissement avec le doudou et la veilleuse. La fixation de l’heure du coucher est un enjeu important dans les relations entre les jeunes et leurs parents. On peut étudier comment les adolescents acceptent cette heure sans pour autant s’endormir immédiatement : ils peuvent parler à leurs amis avec leur mobile, ou écrire des textos, ou encore écouter leur musique ou leur émission préférée. Ils dérobent ce temps non surveillé par les parents pour en faire un temps à soi. De plus, rester éveillé la nuit symbolise pour eux une forme d’émancipation par rapport à l’imposition parentale, et aussi par rapport au rythme des adultes.

• Troisièmement, le sommeil peut être analysé dans une perspective de genre. L’intimité conjugale et hétérosexuelle s’inscrit dans le fait de dormir dans le même lit. Comment concilier le sommeil, activité individuelle, avec l’activité collective d’être dans le lit commun ? Comment se constituent dans cet espace deux territoires personnels ? Comment ces derniers sont défendus ? Dans la perspective développée par le centre de sociologie du sommeil de l’université de Surrey, dirigé par Sara Arber (http:/www.sociologyofsleep.surrey.ac.uk/), la dimension conjugale de l’identité pendant la nuit – repérée par le fait d’être ensemble dans le lit – ne se traduit pas de la même façon pour les hommes et les femmes. Ces dernières se plaignent deux fois plus du ronflement de leur partenaire que les hommes, d’être réveillés par ce bruit ou par d’autres mouvements. Mais selon les commentaires des uns et des autres, les femmes semblent trouver plus normaux ces désagréments : « C’est ok pour un homme de ronfler ». Cela traduit l’intériorisation par la femme de l’attention que les proches attendent d’elle (c’est aussi elle qui se lèvera plus fréquemment la nuit en cas d’appel des enfants), de la responsabilité qu’elle estime avoir de la relation (rester ensemble pour sauvegarder le symbole de cette pratique commune), d’une balance défavorable du pouvoir en sa faveur. Selon Susan Venn, cette acceptation se joue aussi sur le fait que le ronflement est perçu comme une activité masculine, normale : les femmes qui ronflent se sentent davantage stigmatisées que les hommes. Le coût de la vie conjugale est plus élevé pour les femmes aussi pendant la nuit.

François de Singly, « Choisir des « lunettes » sociologiques pour mieux voir la réalité sociale », in François de Singly et alii, Nouveau manuel de sociologie, Armand Colin, 2010, p23-25

Questions :

1. Distinguez « objet social » et « objet sociologique ».

2. Montrez que le sommeil en tant que pratique sociale peut être construit en plusieurs objets sociologiques.

 

Doc 4 : Max Weber et la neutralité axiologique

Une science empirique ne saurait enseigner à qui que ce soit ce qu'il doit faire, mais seulement ce qu'il peut et - le cas échéant - ce qu'il veut faire. Il est exact que dans le domaine de notre discipline les conceptions personnelles du monde interviennent habituellement sans arrêt dans l'argumentation scientifique et qu'elles la troublent sans cesse, qu'elles conduisent à évaluer diversement le poids de cette argumentation, y compris dans la sphère de la découverte des relations causales simples, selon que le résultat augmente ou diminue les chances des idéaux personnels, ce qui veut dire la possibilité de vouloir une chose déterminée. Sous ce rapport les éditeurs et les collaborateurs de cette revue ne s'estimeront certainement pas « étrangers à ce qui est humain ». Cependant, il y a loin de cet aveu de faiblesse humaine à la croyance en une science « éthique » de l'économie politique qui aurait à tirer de sa matière des idéaux ou encore des normes concrètes par l'application d'impératifs éthiques généraux. Il est également exact que les éléments les plus intimes de la « personnalité », les suprêmes et ultimes jugements de valeur qui déterminent notre action et donnent un sens et une importance à notre vie, nous les ressentons justement comme quelque chose qui est « objectivement » d'un grand prix [Wertvolles]. En effet, nous ne réussissons à nous en faire les défenseurs que s'ils nous apparaissent comme valables parce qu'ils découlent de nos valeurs vitales suprêmes et qu'ils se développent dans la lutte contre les résistances que nous rencontrons au cours de notre existence. Sans nul doute, la dignité de la « personnalité » réside dans le fait qu'il existe des valeurs auxquelles elle rapporte sa propre existence et, si jamais dans le cas particulier ces valeurs se situaient exclusivement à l'intérieur, de la sphère de l'individualité personnelle, le fait de « se dépenser » [Sichausleben] en faveur des intérêts auxquels elle assigne l'autorité de valeurs devient alors l'idée à laquelle elle se réfère. En tout cas, la tentative de se faire au dehors l'avocat de jugements de valeur ne peut vraiment avoir un sens qu'à la condition de croire à des valeurs. Cependant : porter un jugement sur la validité de cette sorte de valeurs est une affaire de foi [Glauben] et peut-être aussi une tâche de la pensée spéculative et de l'interprétation du sens de la vie et du monde, mais ce n'est assurément pas l'objet d'une science empirique au sens où nous entendons ici la pratiquer.

Max Weber, “L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales ”, 1904

http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/essais_theorie_science/essais... p111

Question :

1. Expliquer la première phrase du texte: « Une science empirique ne saurait enseigner à qui que ce soit ce qu'il doit faire, mais seulement ce qu'il peut et - le cas échéant - ce qu'il veut faire. »

 

Doc 5 : La fausse neutralité des techniques.

Pas plus qu'il n'est d'enregistrement parfaitement neutre, il n'est de question neutre. Le sociologue qui ne soumet pas ses propres interrogations à l'interrogation sociologique ne saurait faire une analyse sociologique vraiment neutre des réponses qu'elles suscitent. Soit une question aussi univoque en apparence que: «Avez-vous travaillé aujourd'hui ?». L'analyse statistique montre qu'elle suscite des réponses différentes de la part de paysans kabyles ou de paysans du sud-algérien qui, s'ils se référaient à une définition «objective» du travail, c'est-à-dire à la définition qu'une économie moderne tend à inculquer aux agents économiques, devraient fournir des réponses semblables. C'est à condition qu'il s'interroge sur le sens de sa propre question, au lieu de conclure précipitamment à l'absurdité ou à la mauvaise foi des réponses, que le sociologue a quelques chances de découvrir que la définition du travail qui est engagée dans sa question est inégalement éloignée de celle que les deux catégories de sujets engagent dans leurs réponses. On voit comment une question qui n'est pas transparente pour celui qui la pose peut obnubiler l'objet qu'elle construit inévitablement, même si elle n'a pas été expressément faite pour le construire. (…) Toutes les fois que le sociologue est inconscient de la problématique qu'il engage dans ses questions, il s'interdit de comprendre celle que les sujets engagent dans leurs réponses: les conditions sont alors remplies pour que passe inaperçue la bévue qui conduit à décrire en termes d'absence des réalités masquées par l'instrument même de l'observation et par l'intention, socialement conditionnée, de l'utilisateur de l'instrument.
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron,
Le métier de sociologue, 1983

http://classiques.uqac.ca/collection_methodologie/bourdieu_et_al/fausse_...

Questions :

1.Quel est le problème posé par la question « avez-vous travaillé aujourd’hui » ?

2. Quelles précautions méthodologique doit alors prendre le chercheur ?

 

Doc 6 : Qu’est-ce qu’un fait social ?

Voilà donc un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux : ils consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. Par suite, ils ne sauraient se confondre avec les phénomènes organiques, puisqu'ils consistent en représentations et en actions ; ni avec les phénomènes psychiques, lesquels n'ont d'existence que dans la conscience individuelle et par elle. Ils constituent donc une espèce nouvelle et c'est à eux que doit être donnée et réservée la qualification de sociaux. Elle leur convient ; car il est clair que, n'ayant pas l'individu pour substrat, ils ne peuvent en avoir d'autre que la société, soit la société politique dans son intégralité, soit quelqu'un des groupes partiels qu'elle renferme, confessions religieuses, écoles politiques, littéraires, corporations professionnelles, etc. D'autre part, c'est à eux seuls qu'elle convient; car le mot de social n'a de sens défini qu'à condition de désigner uniquement des phénomènes qui ne rentrent dans aucune des catégories de faits déjà constituées et dénommées. Ils sont donc le domaine propre de la sociologie. Il est vrai que ce mot de contrainte, par lequel nous les définissons, risque d'effaroucher les zélés partisans d'un individualisme absolu. Comme ils professent que

l'individu est parfaitement autonome, il leur semble qu'on le diminue toutes les fois qu'on lui fait sentir qu'il ne dépend pas seulement de lui-même. Mais puisqu'il est aujourd'hui incontestable que la plupart de nos idées et de nos tendances ne sont pas élaborées par nous, mais nous viennent du dehors, elles ne peuvent pénétrer en nous qu'en s'imposant ; c'est tout ce que signifie notre définition. On sait, d'ailleurs, que toute contrainte sociale n'est pas nécessairement exclusive de la personnalité individuelle.

Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, 1894

http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/regles_methode/regle... p19 

Questions :

1.Relevez les caractéristiques d’un fait social?

2. En quoi la conception durkheimienne est-elle en opposition avec celle des tenants de l’individualisme ?

 

Doc 7 : Un exemple de fait social : le suicide.

Au contraire le taux des suicides, en même temps qu'il n'accuse que de faibles changements annuels, varie suivant les sociétés du simple au double, au triple, au quadruple et même davantage (v. tableau III). Il est donc, à un bien plus haut degré que le taux de la mortalité, personnel à chaque groupe social dont il peut être regardé comme un indice caractéristique. Il est même si étroitement lié à ce qu'il y a de plus profondément constitutionnel dans chaque tempérament national, que l'ordre, dans lequel se classent, sous ce rapport, les différentes sociétés reste presque rigoureusement le même à des époques très différentes. C'est ce que prouve l'examen de ce même tableau. Au cours des trois périodes qui y sont comparées, le suicide s'est partout accru ; mais, dans cette marche en avant, les divers peuples ont gardé leurs distances respectives. Chacun a son coefficient d'accélération qui lui est propre.

                                                                                   TABLEAU III

                                      Taux des suicides par million d'habitants dans les différents pays d'Europe

Le taux des suicides constitue donc un ordre de faits un et déterminé ; c'est ce que démontrent, à la fois, sa permanence et sa variabilité. Car cette permanence serait inexplicable s'il ne tenait pas à un ensemble de caractères distinctifs, solidaires les uns des autres, qui, malgré la diversité des circonstances ambiantes, s'affirment simultanément ; et cette variabilité témoigne de la nature individuelle et concrète de ces mêmes caractères, puisqu'ils varient comme l'individualité sociale elle-même. En somme, ce qu'expriment ces données statistiques, c'est la tendance au suicide dont chaque société est collectivement affligée. Nous n'avons pas à dire actuellement en quoi consiste cette tendance, si elle est un état sui generis de l'âme collective, ayant sa réalité propre, ou si elle ne représente qu'une somme d'états individuels. Bien que les considérations qui précèdent soient difficilement conciliables avec cette dernière hypothèse, nous réservons le problème qui sera traité au cours de cet ouvrage. Quoi qu'on pense à ce sujet, toujours est-il que cette tendance existe soit à un titre soit à l'autre. Chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires. Cette prédisposition peut donc être l'objet d'une étude spéciale et qui ressortit à la sociologie. C'est cette étude que nous allons entreprendre.

Emile Durkheim, Le suicide : étude de sociologie ; livre premier : les facteurs extra-sociaux, 1897

http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/suicide/suicide.html p23-24

Question :

1. En quoi le suicide peut-il être considéré comme un fait social ?

 

Doc 8 : L’idéal-type wébérien

La théorie abstraite de l'économie nous offre justement un exemple de ces sortes de synthèses qu'on désigne habituellement par « idées » [Ideen] des phénomènes historiques. Elle nous présente, en effet, un tableau idéal [Idealbild] des événements qui ont lieu sur le marché des biens, dans le cas d'une société organisée selon le principe de l'échange, de la libre concurrence et d'une activité strictement rationnelle. Ce tableau de pensée [Gedankenbild] réunit des relations et des événements déterminés de la vie historique en un cosmos non contradictoire de relations pensées. Par son contenu, cette construction a le caractère d'une utopie que l'on obtient en accentuant par la pensée [gedankliche Steigerung] des éléments déterminés de la réalité. Son rapport avec les faits donnés empiriquement consiste simplement en ceci : là où on constate ou soupçonne que des relations, du genre de celles qui sont présentées abstraitement dans la construction précitée, en l'espèce celles des événements qui dépendent du « marché », ont eu à un degré quelconque une action dans la réalité, nous pouvons nous représenter pragmatiquement, de façon intuitive et compréhensible, la nature particulière de ces relations d'après un idéaltype [Idealtypus]. Cette possibilité peut être précieuse, voire indispensable, pour la recherche aussi bien que pour l'exposé des faits. En ce qui concerne la recherche, le concept idéaltypique se propose de former le jugement d'imputation : il n'est pas lui-même une «hypothèse», mais il cherche à guider l'élaboration des hypothèses. De l'autre côté, il n'est pas un exposé du réel, mais se propose de doter l'exposé de moyens d'expression univoques. Il est donc l'« idée » de l'organisation moderne, historiquement donnée, de la société en une économie de l'échange, cette idée se laissant développer pour nous exactement selon les mêmes principes logiques que ceux qui ont servi par exemple à construire celle de l'« économie urbaine» au Moyen Âge sous la forme d'un concept génétique [genetischen Begriff ]. Dans ce dernier cas on forme le concept d'« économie urbaine » non pas en établissant une moyenne des principes économiques qui ont existé effectivement dans la totalité des villes examinées, mais justement en construisant un idéaltype. On obtient un idéaltype en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l'on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu'on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour former un tableau de pensée homogène [einheitlich]. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il

est une utopie. Le travail historique aura pour tâche de déterminer dans chaque cas particulier combien la réalité se rapproche ou s'écarte de ce tableau idéal, dans quelle mesure il faut par exemple attribuer, au sens conceptuel, la qualité d'« économie urbaine » aux conditions économiques d'une ville déterminée. Appliqué avec prudence, ce concept rend le service spécifique qu'on en attend au profit de la recherche et de la clarté.

Max Weber, “L'objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales ”, 1904

http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/essais_theorie_science/essais... p140-141

Question :

1. Relevez les passages permettant d’expliquer ce qu’est un idéal-type.

 

Doc 9 : Les sources de la légitimité de la domination : un exemple d’idéaux-type

Il y a trois types de domination légitime. La validité de cette légitimité peut principalement revêtir :

1) Un caractère rationnel, reposant sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens (domination légale) ;

2) Un caractère traditionnel, reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l'autorité par ces moyens (domination traditionnelle) ;

3) Un caractère charismatique, [reposant] sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne, ou encore [émanant] d'ordres révélés ou émis par celle-ci (domination charismatique).

Dans le cas de la domination statutaire [satzungsmäßig], on obéit à l'ordre impersonnel, objectif, légalement arrêté, et aux supérieurs qu'il désigne, en vertu de la légalité formelle de ses règlements et dans leur étendue. Dans le cas de la domination traditionnelle, on obéit à la personne du détenteur du pouvoir désigné par la tradition et assujetti (dans ses attributions) à celle-ci, en vertu du respect qui lui est dû dans l'étendue de la coutume. Dans le cas de la domination charismatique, on obéit au chef en tant que tel, chef qualifié charismatiquement en vertu de la confiance personnelle en sa révélation, son héroïsme ou sa valeur exemplaire, et dans l'étendue de la validité de la croyance en son charisme.

Max Weber, “La domination légale à direction administrative bureaucratique”

Texte originalement paru dans Économie et Société, Oeuvre posthume, 1921

http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/domination_legale_direction/d... p6

Question :

1. Présentez sous forme de tableau les trois sources idéal-typiques de la domination, leur définition selon Weber et en donner un exemple pour chacune.

 

Doc 10 : L’individualisme méthodologique selon Raymond Boudon.

[Raymond Boudon répond à l’auteur dans un entretien.]

J'aimerais que vous nous expliquiez en termes simples, à l'intention des étudiants qui commencent leurs études, en quoi consiste l'individualisme méthodologique.

L'objectif de toute science, de toute démarche scientifique, est d'obtenir des explications qui soient, dans l'idéal, dépourvues de « boîtes noires ». Je crois que c'est l'essence de la science. Par exemple, vous avez un phénomène qui est opaque et obscur. Vous prenez un premier système explicatif, mais il y a des « boîtes noires », des choses que vous ne comprenez pas encore. L'objectif de la science est fondamentalement de supprimer les « boîtes noires ». L'individualisme méthodologique est une direction qui permet, si nous la suivons, d'essayer de supprimer complètement celles-ci.

Prenons un exemple de Tocqueville que j’utilise très souvent. Tocqueville constate qu'à la fin du XVIIIesiècle il y a une stagnation de l'agriculture française au moment où il y a un développement extraordinaire de l'agriculture anglaise. Ce phénomène est mystérieux, car ces deux pays se ressemblent beaucoup sur divers aspects, à cette époque. Comment alors expliquer ce phénomène ? Vouloir répondre à ce pourquoi, c'est vouloir chercher la cause. Et la cause dans les phénomènes sociaux, c'est toujours des comportements, des attitudes des individus. Et par conséquence, si vous voulez supprimer complètement les « boîtes noires », il faut expliquer pourquoi les individus font ce qu'ils font, et croient ce qu'ils croient. Une fois que vous y êtes arrivé et que vous êtes convaincant, l'explication est claire et définitive. Il n'y a plus de « boîtes noires ».

Dans l'exemple de Tocqueville, l'explication est simple. Il nous explique que les propriétaires fonciers français préfèrent aller acheter toutes les charges royales qui existent - la France étant beaucoup plus centralisée que l'Angleterre -, quittent leurs terres et placent sur ces dernières des gens qui n'ont aucun pouvoir de décision, ni de modernisation. Ces comportements individuels en s'agrégeant, provoquent la stagnation de l'agriculture française. Voilà un modèle d'explication que j'aime beaucoup donner. Nous partons d'un phénomène qui est très difficile à comprendre et nous aboutissons à une explication définitive. Une fois que vous avez compris que le propriétaire foncier français est tenté par les charges du roi car celui-ci est très puissant en France, c'est terminé. Vous n'avez plus rien à expliquer.

Yao Assogba, La sociologie de Raymond Boudon : essai de synthèse et application de l’individualisme méthodologique, 1999

http://classiques.uqac.ca/contemporains/assogba_yao/sociologie_raymond_b... p162-163

Questions :

1. Comment éviter les “boîtes noires” en sociologie selon R.Boudon ?

2. En mobilisant l’individualisme méthodologique, comment Tocqueville explique-t-il la stagnation de l’agriculture française ?

CORRIGE

Doc 1 : La querelle des méthodes.

Questions.

1. Reprendre sous forme de tableau les propositions de Menger en économie et les critiques de Schmoller correspondantes.

2. Expliquez la distinction de Rickert entre sciences de la nature et sciences de la culture.

Rickert différencie les sciences de la nature et les sciences de la culture, à la fois en fonction de leurs méthodes et de leur objet.

Alors que les sciences de la nature ont la volonté d’établir des lois générales, les sciences de la culture tentent de comprendre des évènements singuliers.

L’objet des sciences de la nature est dénué de signification culturelle alors que les comportements humains s’inscrivent dans un système de valeurs.

Les faits sont donc choisis en fonction d’un rapport particulier aux valeurs, ce qui limite la validité des résultats de recherche dans les sciences de la culture.

 

Doc 2 : L’ambition scientifique de la sociologie.

Question.

Quelles sont les caractéristiques de la sociologie comme discipline scientifique ?

Le cadre de référence est limité et présente certaines règles :

  • L’objectivité du chercheur ;
  • Le contrôle de ses préjugés ;
  • L’absence de jugement normatif ;

 

Doc 3 : La réalité et ce qui est « vu » : l’exemple du sommeil.

Questions.

1.Distinguez « objet social » et « objet sociologique ».

L’objet social désigne un phénomène qui occupe la société. Il devient sociologique lorsque le sociologue s’en saisit et tente de l’analyser par la médiation de grilles théoriques.

2.Montrez que le sommeil en tant que pratique sociale peut être construit en plusieurs objets sociologiques.

Le choix de la grille théorique par le sociologue permet de construire plusieurs objets sociologiques à partir d’un même objet social, ici la pratique du sommeil.

Il peut l’appréhender à partir de dysfonctionnements comme l’insomnie et tenter d’établir un lien avec le groupe social d’appartenance. Le sociologue peut aussi analyser les modalités d’endormissement aux différents stades de la socialisation. Il peut enfin être étudié comme un temps de rencontre entre membres d’un couple qui va être appréhendé différemment selon le genre.

 

Doc 4 : Max Weber et la neutralité axiologique

Question.

Expliquer la première phrase du texte: « Une science empirique ne saurait enseigner à qui que ce soit ce qu'il doit faire, mais seulement ce qu'il peut et - le cas échéant - ce qu'il veut faire. »

Cette phrase résume à elle-seule la position de Weber sur la neutralité axiologique.

Tout d’abord, le scientifique doit s’abstenir de tout jugement de valeur. La nature subjective du jugement de valeur compromet l’objectivité scientifique.

Néanmoins, le chercheur ne peut totalement se départir de ses propres valeurs compte tenu de l’objet qu’il traite, de nature sociale. Il doit alors tenter de prendre ses distances avec celles-ci et émettre un jugement de fait en expliquant ce qui est ou ce qui peut être. L’objectif du scientifique doit être de connaître, pas de livrer son jugement sur les faits.

 

Doc 5 : La fausse neutralité des techniques.

Questions.

1.Quel est le problème posé par la question « avez-vous travaillé aujourd’hui » ?

Les auteurs notent que cette question ne peut avoir un sens que si le sociologue qui la pose et toutes les parties qui y répondent ont la même définition du travail. Ainsi, les paysans kabyles et les paysans du sud algérien fournissent des réponses différentes car ils n’ont pas la même conception du travail. S’ils le définissaient au sens objectif d’une économie moderne, les résultats statistiques devraient être les mêmes pour chaque groupe.

2.Quelles précautions méthodologique doit alors prendre le chercheur ?

Il doit tout d’abord être conscient qu’aucune question n’est neutre car un même mot peut avoir chez deux personnes différentes deux sens différents. Ils ne répondront pas à la même question sur le fond alors que la forme est identique. Le sociologue doit donc opérer un travail de réflexion approfondie pour éviter ce problème en posant une question strictement identique à tous. A cette condition, le fruit de son travail aura un intérêt dans la description objective du social.

 

Doc 6 : Qu’est-ce qu’un fait social ?

Questions.

1.Relevez les caractéristiques d’un fait social?

Limités au domaine propre de la sociologie : phénomènes différents de ceux organiques ou psychiques ;

Ils sont extérieurs à l’individu ;

Pouvoir de contrainte (ils s’imposent à l’individu).

2.En quoi la conception durkheimienne est-elle en opposition avec celle des tenants de l’individualisme ?

Les tenants de l’individualisme postulent que l’individu est autonome, que son action ne dépend alors que de ses propres choix. Durkheim pense, au contraire, que les choix de l’individu, ses idées sont déterminés par quelque chose qui le dépasse et qui s’impose à lui.

 

Doc 7 : Un exemple de fait social : le suicide.

Question.

En quoi le suicide peut-il être considéré comme un fait social ?

Durkheim note la stabilité dans le temps du taux de suicide pour chaque société et les différences entre chaque société nationale : par exemple, le taux de suicide de l’Italie varie sur la période d’étude de 30 à 38 pour un million d’habitants alors qu’il varie de 277 à 255 pour le Danemark. Ainsi, il semble non pertinent pour lui d’expliquer ces caractéristiques par des déterminants individuels et il considère donc le suicide comme un fait social.

 

Doc 8 : L’idéal-type wébérien

Question.

Relevez les passages permettant d’expliquer ce qu’est un idéal-type.

  • « utopie que l'on obtient en accentuant par la pensée des éléments déterminés de la réalité » ;
  • Il consiste « à guider l'élaboration des hypothèses » ;
  • « il n'est pas un exposé du réel » ;
  • « tableau de pensée homogène »
  • Le travail historique du chercheur consiste à« déterminer dans chaque cas particulier combien la réalité se rapproche ou s'écarte de ce tableau idéal ».

 

Doc 9 : Les sources de la légitimité de la domination : un exemple d’idéaux-type

Question.

Présentez sous forme de tableau les trois sources idéal-typiques de la domination, leur définition selon Weber et en donner un exemple pour chacune.

 

Doc 10 : L’individualisme méthodologique selon Raymond Boudon.

Questions.

1.Comment éviter les “boîtes noires” en sociologie selon R.Boudon ?

Selon l’auteur, une approche scientifique doit faire en sorte de ne pas laisser de points inexpliqués dans la démarche mobilisée. Ainsi, en sociologie, pour analyser le plus finement possible un phénomène social, il est nécessaire de s’intéresser aux motivations des individus, c’est-à-dire de mobiliser l’individualisme méthodologique.

2.En mobilisant l’individualisme méthodologique, comment Tocqueville explique-t-il la stagnation de l’agriculture française ?

Pour expliquer un phénomène macrosocial (même macroéconomique ici), Tocqueville dissèque les micro-décisions des propriétaires fonciers. L’agrégation de leurs décisions de ne pas s’occuper directement de leur terre permet d’expliquer la stagnation de l’agriculture française.

 

Étude de l’institut de l’entreprise

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